Les sables bitumineux polluent l'Alberta et contribuent au réchauffement de la planète. Mais sont-ils moins éthiques que le pétrole d'Hugo Chavez ou de l'Iran islamiste? C'est la question que pose Ezra Levant dans son livre Ethical Oil. Ancien attaché de presse de Stockwell Day, éditeur du Western Standard, ce commentateur de droite, qui sera chef d'antenne de la future chaîne Sun TV, tente d'exposer «les arguments de gauche en faveur des sables bitumineux». La Presse s'est entretenue avec lui.

Q : Comment l'idée de ce livre vous est-elle venue?

R : C'était à Ottawa l'an dernier. Je participais à une conférence en lien avec mon dernier livre, Government Shake Down, à propos de la liberté de parole. On m'a demandé à la dernière minute de participer à une table ronde sur les sables bitumineux. La centaine de personnes qui y assistaient ne faisaient que les critiquer. Je m'efforçais de poser des questions pour faire avancer la discussion. Et je me suis rendu compte que tous ces bien-pensants pourraient très bien être convaincus par des arguments de gauche en faveur des sables bitumineux au lieu des traditionnels arguments de droite sur la libre entreprise et la croissance économique. On peut et on doit comparer le bilan environnemental négatif des sables bitumineux avec les restrictions intolérables aux droits et libertés qu'imposent la plupart des grands producteurs de pétrole, au Moyen-Orient, en Afrique, en Russie, au Venezuela. On ne peut tout de même pas se limiter à acheter du pétrole norvégien ou brésilien! J'ai envoyé mes notes à mon éditeur, qui a immédiatement accepté que j'en fasse un livre. Et j'ai eu raison: même le Toronto Star en a fait une critique positive.

Q : Un critique a avancé que le traitement que l'on réserve aux femmes en Arabie Saoudite n'est pas pire que le sort des autochtones qui travaillent dans l'industrie minière canadienne. Qu'en pensez-vous?

R : C'est complètement loufoque. Personne n'oblige les autochtones à travailler dans les sables bitumineux ou les mines. Les Saoudiennes, elles, n'ont pas le choix. Je ne dis pas qu'elles sont toutes malheureuses. Mais on aurait du mal à trouver des Canadiennes qui voudraient qu'on ait les mêmes lois que là-bas.

Q : Dans votre livre, vous dénoncez les ONG qui ont fait pression sur la société canadienne Talisman pour qu'elle vende ses actifs pétroliers au Soudan et qui cherchent à convaincre la pétrolière française Total de cesser sa collaboration avec la Birmanie. N'y a-t-il pas là une contradiction avec votre condamnation du pétrole iranien ou vénézuélien?

R : Le fait que le pétrole canadien est plus éthique ne m'empêche pas de penser que la présence de sociétés occidentales dans les dictatures a plus d'avantages que d'inconvénients pour les populations locales. Oui, ça enrichit les dictateurs. Mais les firmes occidentales sont vulnérables aux pressions des ONG. Pensez-vous que les dirigeants des sociétés pétrolières chinoises demandent au gouvernement soudanais de ne plus réprimer les minorités, comme l'a fait le président de Talisman? Ce n'est pas un hasard si le conflit au Darfour s'est envenimé depuis le départ de Talisman.

Q : N'est-il pas possible de se tenir à l'écart de tout investissement pétrolier, comme plusieurs fonds «éthiques» le préconisent?

R : Plusieurs de ces fonds investissent dans des entreprises qu'ils dénoncent. La société pétrolière norvégienne a envisagé de vendre ses investissements dans les sables bitumineux mais, finalement, ne l'a pas fait. Le marché du pétrole est très dur. Le Canada n'est pas en concurrence avec la Suisse, mais avec des dictatures et des pays autoritaires qui se soucient peu des droits de l'homme et de l'environnement.

Q : Dans votre livre, vous avancez que l'Arabie Saoudite pourrait avoir participé à la mise en oeuvre du règlement américain qui interdit depuis 2008 aux agences gouvernementales d'utiliser de l'essence tirée des sables bitumineux. Sur quoi basez-vous cette opinion?

R : Les Saoudiens n'ont pas besoin de s'opposer publiquement aux sables bitumineux. Greenpeace et Nancy Pelosi, ancienne présidente démocrate du Congrès, font le travail à leur place. Les Saoudiens doivent être morts de rire. De toute façon, ce genre de règlement est pratiquement impossible à appliquer. Le marché nord-américain du pétrole est très intégré, il faudrait carrément interdire les importations du pétrole des sables bitumineux.

Q : Vous affirmez que les sables bitumineux émettent moins de gaz à effet de serre que le pétrole californien, nigérien, irakien et vénézuélien. Le Sierra Club a contesté l'analyse sur laquelle vous vous fondez parce qu'elle n'a pas fait l'objet d'une contre-expertise (peer-reviewed). Qu'en pensez-vous?

R : C'est vrai, elle n'a pas été revue par des pairs. Mais les groupes écologistes ne se gênent jamais pour publier de telles études quand elles font leur affaire. L'analyse suit le principe «du puits aux roues» mis au point par le laboratoire Argonne du gouvernement américain. Le Sierra Club dit qu'il aurait fallu tenir compte des émissions de méthane des tourbières dérangées par l'exploitation des sables bitumineux. Je veux bien, mais je doute que ça change grand-chose au résultat. À la base, les verts ne veulent pas qu'on compare les sables bitumineux aux pays de l'OPEP parce que nous avons des règlements environnementaux plus stricts qui rendent notre pétrole plus propre. Notamment, nous utilisons le gaz naturel libéré par l'exploitation pétrolière, alors que plusieurs pays de l'OPEP le brûlent à l'air libre.

Q : Des critiques ont avancé que l'Alberta devrait taxer davantage les revenus des sables bitumineux et imiter la Norvège, qui met en banque les revenus pétroliers au lieu de les dépenser immédiatement. Qu'en pensez-vous?

R : La Norvège compte moins de 5 millions d'habitants. Nous en avons sept fois plus et nous avons une forte croissance économique et démographique. Je suis conservateur, donc je préférerais qu'on épargne plus et qu'on dépense moins, mais il ne faut pas comparer des pommes et des oranges.

Q : Des critiques ont avancé que les revenus des sables bitumineux ont fait augmenter la valeur du dollar canadien et donc sont responsables de la chute des exportations qui a affaibli le secteur manufacturier canadien. Qu'en pensez-vous?

R : Faudrait-il que le dollar soit 10 ou 15 cents plus bas par rapport au dollar américain? Est-ce que ça changerait beaucoup de choses pour le secteur manufacturier? Je ne crois pas. Nos entreprises auraient moins de capital pour acheter des équipements spécialisés à l'étranger, pour attirer des travailleurs qualifiés. Et de toute façon, le dollar canadien s'apprécie à cause de toutes nos richesses naturelles, pas seulement du pétrole. Il ne faut pas non plus oublier les revenus que de nombreux Canadiens tirent des sables bitumineux, qui emploient plus d'Ontariens que l'industrie manufacturière. Il y a des villages à Terre-Neuve qui tirent la moitié de leurs revenus des salaires des ouvriers qui vont travailler pendant plusieurs mois en Alberta.

Q : Vous décrivez dans votre livre le cas d'un médecin albertain, John O'Connor, qui a faussement allégué que l'exploitation des sables bitumineux crée des cas de cancer. Pouvez-vous nous en dire plus?

R : Je suis sûr que ce médecin voulait le bien de ses patients. Mais il a menti, ou alors son jugement professionnel n'est pas bon. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le Collège des médecins de l'Alberta. Il y a plus de cancers chez les Amérindiens que chez les Blancs. Et il n'y avait pas cinq cas du cancer en question dans son village, Chipewyan, mais deux. N'empêche, le Dr O'Connor continue d'être cité comme un héros de la lutte contre l'ordre établi dans les documentaires et les conférences contre les sables bitumineux.