Quand elle a vu la place Jacques-Cartier, lors d'une récente visite à Montréal, la mairesse Melissa Blake s'est dit: «C'est ça que je veux!»

Ça, c'est-à-dire une ville avec des rues piétonnes, des terrasses animées et une promenade le long de la rivière Clearwater, à deux pas du centre-ville de Fort McMurray.

 

Mais pour l'instant, du haut de l'édifice qui abrite la mairie, Melissa Blake montre les parkings qui trouent le centre-ville.

Avec ses neuf étages, l'immeuble surplombe la ville. La principale artère du centre-ville, la rue Franklin, est bordée de maisons basses aux façades hétéroclites. «Il faut construire en hauteur, construire des stationnements souterrains», rêve la politicienne de 38 ans.

Sauf qu'il faut d'abord parer au plus urgent. La voie rapide qui traverse la ville a été surnommée «autoroute de la mort» tant les accidents y sont fréquents. Elle doit être bientôt élargie, pour devenir une autoroute à 10 voies.

Il faut aussi de nouveaux égouts, un nouvel aéroport, de nouveaux quartiers résidentiels pour loger les nouveaux arrivants, attirés par les nouveaux projets pétroliers.

Incapable de financer ces projets, la Ville a reçu de l'aide du gouvernement. Mais les nouvelles infrastructures seront vite dépassées. Car les usines croissent à un rythme essoufflant. «Nous avons de la peine à tenir le pas», reconnaît Mme Blake.

Fort McMurray est passé de 36 000 à 65 000 habitants en huit ans. Et c'est sans compter sa «population de l'ombre»: les 18 000 travailleurs qui, les jours de congé, descendent en ville.

Retard

«Quand le boom pétrolier a commencé, la Ville n'a pas réalisé à quel point le phénomène serait important, c'est pour ça qu'on a pris du retard», reconnaît le porte-parole de l'administration, Philip Cooper.

Depuis, Fort McMurray court après sa queue. «Nous avons une inflation de près de 2% par mois, souligne Melissa Blake. Quand un projet est retardé d'un an, les coûts augmentent de 25%.»

Le salaire moyen des familles est l'un des plus élevés au Canada. Le prix des maisons aussi. On ignore ce qui monte le plus vite: les revenus ou le coût de la vie. En 2006, un bungalow moyen se vendait 435 000$. Deux ans plus tard, une petite maison mobile vaut un demi-million.

Et ça continue. D'ici quatre ans, la production de pétrole pourrait doubler. Et la population, dépasser les 100 000 habitants.

Maux de croissance

En face de l'hôtel de ville, des toxicomanes ont élu domicile devant un magasin 7-Eleven. La consommation de drogues a augmenté à Fort McMurray, surtout celle du crack. Ses traces restent moins longtemps décelables dans le sang que celles de la marijuana, avantage appréciable pour les travailleurs susceptibles de subir des tests de dépistage.

Car les toxicomanes ne sont pas tous des paumés. Il y a ici des jeunes qui ont beaucoup d'argent, éloignés de leurs proches. Les jours de congé, ils se défoncent.

La criminalité est en hausse. «Certaines de mes collègues ont maintenant peur de marcher jusqu'à leur auto, après le travail», confie l'employée d'une banque du centre-ville.

«Maux de croissance», nuancent les habitants de Fort McMurray, qui reprochent aux médias de noircir le portrait.

«Nous avons des problèmes, mais nous avons aussi beaucoup de défis et c'est excitant», fait valoir la mairesse Blake avant de nous dire que, si nous revenons à Fort McMurray dans 10 ans, nous ne reconnaîtrons pas la ville, tant elle aura changé.

 

FORT McMURRAY EN CHIFFRES

Population 1999: 36 452

Population 2007: 65400

Population projetée en 2012: 100 000 habitants

La population de la région de Wood Buffalo, qui inclut Fort McMurray, croît de 9% par an

Population «de l'ombre» (des travailleurs qui habitent dans les camps de travail): 18 572

Âge moyen: 31 ans

Revenu médian des familles: 120 000$