Avec son bas prix, le gaz de schiste retarde l'émergence d'énergies réellement propres et nuit à la lutte contre les changements climatiques.

C'est l'avis de l'économiste en chef de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), Fatih Birol, dont les propos ont été relayés par plusieurs médias internationaux et spécialisés.

L'argument n'est pas nouveau, il revient souvent dans la bouche d'écologistes, mais venant de l'AIE, il est dévastateur pour l'industrie gazière, qui se vante d'être verte.

Lors d'une conférence à Londres il y a quelques jours, M. Birol a affirmé qu'il sera «virtuellement impossible» de contenir les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) en deçà du niveau qui provoquerait des changements climatiques dangereux.

En plus d'un manque de volonté politique pour limiter les émissions de carbone, M. Birol dit que l'apparition du gaz de schiste a provoqué une «révolution mondiale des sources non conventionnelles de gaz» et menace de freiner l'investissement dans les projets d'énergie renouvelable sur la planète.

«Il y aura de vifs débats entre les ministres responsables de l'énergie, du climat et des finances partout dans le monde à savoir si on devrait continuer de subventionner les énergies renouvelables, alors que la situation du gaz a changé de façon si radicale», a dit M. Birol.

Selon lui, le boum du gaz de schiste a déjà causé une baisse de 50% des investissements dans les énergies renouvelables comme le solaire et l'éolien aux États-Unis.

Selon Stéphane Gosselin, de l'Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ), cette question ne devrait pas influencer la décision d'exploiter le gaz de schiste québécois.

«Au Québec, on consomme déjà pour 2 milliards de gaz par année, dit-il. Dans bien des procédés, on ne peut pas le remplacer par de l'électricité. La question demeure: est-ce qu'on veut profiter des retombées? Je peux comprendre qu'on se pose des questions dans un contexte global. Mais au Québec, le lien est moins évident. Le but n'est pas de consommer 10 fois plus de gaz au Québec, mais de remplacer celui qu'on consomme déjà.»

Pour Patrick Bonin, coordonnateur climat et énergie à l'Association québécoise de lutte à la pollution atmosphérique (AQLPA), cela montre à quel point il ne faut pas se précipiter dans l'aventure gazière avant d'en avoir évalué toutes les conséquences.

«M. Birol nous dit que les gaz de schiste sont en train de tuer les énergies renouvelables, que ce soit l'hydroélectrique, l'éolien ou le solaire. C'est comme un pusher qui introduit une nouvelle drogue sur le marché alors que les gens essaient de se sevrer.»

Steven Guilbeault, d'Équiterre, tente quant à lui de remettre en perspective la déclaration de M. Birol. «Il connaît ça mieux que moi, alors s'il pense que ça nuit aux énergies renouvelables, c'est inquiétant, dit-il. Mais c'est difficile de savoir ce qui se passe avec les énergies renouvelables, avec le contexte économique.»

Le bilan américain s'alourdit

L'avantage du gaz sur le charbon s'amenuise encore plus avec un nouveau rapport de l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis (EPA).

L'agence a revu la façon dont elle calcule les fuites des puits de gaz de schiste aux États-Unis.

Dans un document technique daté de novembre 2010, la nouvelle méthode de calcul impute des émissions de gaz à effet de serre (GES) 3500 plus élevées pour les opérations de fracturation des puits.

Pour la forme, l'Agence a refait ses calculs pour l'année 2006. Résultat: les émissions liées à tout le secteur de la production pétrolière et gazière doublent avec le nouveau calcul, passant de 90 à 198 millions de tonnes.

C'est l'équivalent d'ajouter la pollution de tout le Québec au bilan de l'industrie.

Du coup, l'avantage du gaz sur le charbon est moins grand. Selon un calcul du groupe de journalisme d'enquête ProPublica, cet avantage serait diminué de moitié.

Le gaz demeure cependant moins polluant que le charbon du point de vue du smog, des pluies acides et d'autres produits nocifs comme le mercure.

Mais selon Patrick Bonin, l'EPA sert un «sérieux avertissement» avec sa réévaluation. «Il y a certainement des gouvernements qui vont cesser de favoriser le gaz», dit-il.