Plus de 200 mémoires ont été présentés au Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) au sujet de l'implantation de l'industrie du gaz de schiste au Québec. Plusieurs personnes ont souligné que ce mandat a débuté en l'absence d'une étude d'impact qui sert habituellement de point de départ à tout projet.

Après 13 jours d'audiences, l'organisme a-t-il pu glaner l'information nécessaire pour se prononcer? On peut en douter, à voir les nombreuses questions posées après la fin des audiences par le secrétariat du BAPE aux fonctionnaires du ministère des Ressources naturelles. En attendant le rapport, qui doit être remis au ministre Pierre Arcand le 28 février, voici un aperçu du travail du BAPE... en sept questions.

Q Le BAPE est-il en mesure d'éclairer le public et le gouvernement sur les risques pour la santé associés à l'exploitation du gaz de schiste?

R Selon les experts du gouvernement, il manque trop d'information pour se prononcer, a-t-on appris pendant les audiences. Les spécialistes de la santé publique du Québec ont entre autres souligné qu'on aurait avantage à prendre connaissance de l'étude de l'Agence américaine de protection de l'environnement (USEPA) au sujet de l'impact de la fracturation hydraulique sur la santé humaine et l'environnement, qui sera publiée l'année prochaine.

L'industrie a répliqué avec le témoignage d'une experte qui dit avoir passé en revue toutes les études disponibles sans avoir pu trouver l'indice d'un lien entre l'industrie gazière et des problèmes de santé. Mais ce type de lien est très difficile à établir. Dans le cas de la cigarette et du cancer, l'industrie du tabac a pu affirmer pendant des décennies qu'il n'y avait pas de lien. Devant ces incertitudes, plusieurs citoyens et groupes prônent l'application du principe de précaution et demandent de ne pas exploiter la ressource avant d'avoir des données plus fiables.

Q De quelles informations dispose le BAPE pour se prononcer sur la protection des eaux souterraines?

R L'industrie du gaz et les experts québécois divergent fondamentalement à ce sujet. L'industrie affirme que si le coffrage des puits est bien fait, les produits chimiques utilisés pour fracturer la roche ne peuvent en aucun cas venir en contact avec les nappes souterraines d'eau potable. Elle souligne qu'il y a une couche de 1000 mètres d'épaisseur d'une roche peu friable et très peu perméable, le shale de Lorraine, au-dessus du shale d'Utica, où se trouve le gisement gazier. L'industrie soutient qu'après des centaines de milliers de forages et de fracturations sur le continent, la technique a fait ses preuves. Elle s'appuie entre autres sur les résultats d'une recherche au sujet des forages dans le shale de Barnett, au Texas, publiée dans le Oil and Gas Journal, une référence dans l'industrie.

De son côté, le Groupe de recherche interuniversitaire sur les eaux souterraines (GRIES), qui regroupe des experts provenant de six établissements universitaires québécois, estime que le risque de contamination existe: «Dans le cas où des connexions hydrauliques existent entre les formations profondes et celles de surface (par exemple, failles ou forte densité de fractures), le fluide utilisé pour la fracturation pourrait migrer vers les nappes d'eau souterraines situées au-dessus de l'unité de shale.»

Le GRIES ajoute qu'on ne connaît pas suffisamment les eaux souterraines pour les soumettre aux aléas de l'industrie gazière. «Près de 50% du territoire municipalisé de la province n'a pas encore fait l'objet d'études hydrogéologiques régionales, affirme le groupe dans son mémoire. C'est le cas notamment d'une partie significative des territoires envisagés pour l'exploitation des gaz de shale. Or, comment protéger une ressource qui n'est pas encore bien connue?»

Q Le BAPE a-t-il les données nécessaires pour juger de l'impact de l'exploitation du gaz de schiste sur la qualité de l'air?

R Selon des études citées par l'industrie, les opérations de forage et de fracturation ont un impact local et temporaire sur la qualité de l'air. On parle principalement de la pollution en provenance des moteurs diesel et des torchères, ainsi que de l'évaporation des substances chimiques mélangées à l'eau de fracturation ou provenant des réactions entre ces substances et les couches géologiques. Le gaz de schiste québécois est qualifié de «propre» par l'industrie, étant composé à environ 98% de méthane (CH4) et ne renfermant aucune trace de sulfure d'hydrogène (H2S) ou de benzène, deux gaz particulièrement nocifs. En Colombie-Britannique, le sulfure d'hydrogène se retrouve en concentrations dangereuses dans plusieurs gisements. Les affirmations sur la pureté du gaz québécois gagneraient toutefois à être validées par une source indépendante, selon l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA).

Q Avant le début des travaux, le BAPE a affirmé qu'il s'intéresserait au côté économique de l'implantation de l'industrie. A-t-il en mains l'information nécessaire?

R Aucune étude indépendante n'a été produite sur la question devant le BAPE. Quelques données en provenance du ministère des Finances sont venues compléter le portrait brossé par la firme SECOR pour le compte de l'industrie. Mais des aspects manquent à l'analyse, dont l'impact de l'exploitation gazière sur la valeur des maisons.

Par ailleurs, le Conseil du patronat du Québec a affirmé que le gouvernement du Québec n'était pas assez exigeant envers les sociétés gazières et s'exposait à ce que la ressource enrichisse les spéculateurs au détriment de la collectivité. «Il y a une menace pour le bien collectif, a dit Yves-Thomas Dorval, président du CPQ. Il ne faut pas que les permis d'exploration fassent l'objet de spéculation. Le gouvernement devrait revoir à la hausse la valeur des travaux exigibles avec les permis. La revente d'un permis d'exploration (entre entreprises) ne devrait être autorisée que si le titulaire a effectué la valeur requise de travaux d'exploration. Et les permis de recherche devraient être mis aux enchères à leur échéance afin que le gouvernement connaisse leur vraie valeur.»

Q Plusieurs citoyens se sont inquiétés pour la valeur de leur maison ou la viabilité de leur exploitation agricole si l'industrie gazière s'installait à proximité. D'autres ont demandé si leur assurance les couvrait contre des dommages dus à un accident industriel ou si leur prime augmenterait. Le BAPE sera-t-il à même de faire le point là-dessus?

R Non. Aucune étude ne lui a été présentée sur ces sujets. Cependant, un ingénieur spécialiste des risques industriels a produit une simulation d'accident qui pourrait aider le BAPE à circonscrire le danger que présente un puits de gaz naturel.

Q Que peut conclure le BAPE sur l'impact qu'aurait l'exploitation gazière sur les émissions de gaz à effet de serre?

R La question des gaz à effet de serre avait été au coeur du rejet par le BAPE du projet de la centrale thermique du Suroît, en 2003. La centrale au gaz aurait fait augmenter les émissions de gaz à effet de serre (GES) du Québec de 2%. «Pour cette raison et dans une perspective de développement durable, la commission ne peut souscrire à la mise en oeuvre du projet, avait conclu le BAPE à l'époque. Elle considère que son autorisation devrait être conditionnelle à la démonstration claire qu'il ne compromet pas les engagements du Québec en regard du protocole de Kyoto.»

Huit ans plus tard, le Québec a des objectifs encore plus ambitieux pour réduire les émissions de GES. Que pourra dire le BAPE sur ce nouveau projet gazier?

Avec des forages sur son territoire, le Québec hériterait des émissions de gaz à effet de serre liées à l'exploitation du gaz, émissions qui sont actuellement portées au compte d'une autre province. L'industrie plaide qu'en évitant les émissions liées au transport du gaz, il y a moins d'impact sur le climat.

Par ailleurs, le gaz de schiste québécois ne contient pas de gaz carbonique, ce qui le rend avantageux par rapport au gaz de schiste de l'Ouest canadien. Enfin, le gouvernement croit que le gaz a le potentiel de remplacer le mazout et le diesel, plus polluants. Mais l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) réclame une étude sur le cycle de vie complet du gaz de schiste afin de connaître son réel bilan. Pour cela, il faudrait en savoir plus sur la consommation de diesel pendant le forage et la fracturation ainsi que les émissions fugitives de gaz pendant l'exploitation.

Par ailleurs, le mandat du BAPE ne lui permet pas de se prononcer sur les solutions de rechange possibles, comme la production de biogaz.

Q Un grand nombre de citoyens, tous les groupes écologistes et pratiquement tous les responsables municipaux ont demandé un moratoire sur l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste. Même la FTQ l'a fait, alors que ce syndicat favorise habituellement la stimulation de l'activité économique. Seuls les entreprises gazières, des industriels et des chambres de commerce ont plaidé contre l'idée d'un moratoire. Que peut faire le BAPE devant une telle pression populaire?

R Il sera difficile pour le BAPE de ne pas faire état de ces demandes répétées pour un moratoire. Mais il doit aussi respecter le mandat qu'il a reçu du ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP), Pierre Arcand: «proposer un cadre de développement de l'exploration et de l'exploitation des gaz de schiste».