Inscrite à la Bourse de Toronto, la firme albertaine Questerre est l'une des principales dans l'exploitation du gaz de schiste au Québec. Active depuis 1989, elle est aussi l'une des premières à s'être intéressées aux ressources gazières du Québec. Pierre Boivin, président du club de hockey Canadien, siège à son conseil d'administration. La Presse s'est entretenue avec son PDG, Michael Binnion.

Q Qu'est-ce qui vous frappe dans la réaction suscitée par les projets de votre industrie ces dernières semaines?

R Les gens affirment que nous sommes trop pressés alors que, en fait, de notre point de vue, ça avance plutôt lentement. On travaille là-dessus depuis 10 ans et on ne sait toujours pas s'il y a une valeur commerciale. Alors certainement, personne parmi nos actionnaires ne trouve que ça va trop vite!

Q Mais il y a quand même du nouveau, non?

R Oui. En 2008, nous sommes passés d'une phase à très haut risque à une phase où on entrevoit une possibilité commerciale. Mais la réaction qu'on voit des gens, c'est comme si on était déjà au Texas. L'industrie a fait 8 ou 10 forages au Québec en 2010 alors qu'il y en a eu 8000 en Alberta! Ici, c'est comme la Colombie-Britannique il y a 20 ou 30 ans!

Q Justement, parlons de la Colombie-Britannique. Comment expliquez-vous que les permis d'exploration là-bas soient mis aux enchères, et pas ici?

R Je ne crois pas que la Colombie-Britannique ait obtenu grand-chose pour ses permis dans les années 70. Mais le gouvernement du Québec devrait se dépêcher d'introduire un système d'enchères. On pourrait y soumettre les permis actuels au fur et à mesure qu'ils arrivent à échéance. Les permis sont renouvelables, mais le gouvernement peut très bien refuser de les renouveler. Actuellement, des transactions privées ont lieu sur des permis existants, alors que nous préférerions un système ouvert où tous pourraient participer.

Q Comment trouvez-vous l'expertise au Québec en matière de pétrole et de gaz? A-t-on les compétences pour bien réglementer cette industrie?

R À cause de l'époque de la SOQUIP, il y a un petit groupe de personnes qui connaissent très bien le domaine. Mais l'industrie ne démarrera pas sans firme de forage. Il faut que cela se mette en place vers 2012.

Q De quoi aurait l'air l'industrie, une fois lancée?

R On parle de forer 400 puits horizontaux par année, à partir de 50 plateformes. En 20 ans, on aura foré 8000 puits, autant qu'en Alberta en une seule année.

Q Les gens n'ont-ils pas raison de craindre l'effet cumulatif de tous ces forages sur le paysage, sur la qualité de vie?

R C'est difficile de dédommager les gens pour la perte de leur tranquillité. Les endroits où nous sommes le moins bienvenus sont ceux où il y a de la villégiature. En Alberta, il y a de la réglementation sur le bruit. Nous souhaitons que le Québec force toutes les entreprises à suivre des règles aussi sévères à ce sujet. Nous les appliquons déjà nous-mêmes. Dans les endroits plutôt agricoles, nous sommes généralement très bienvenus. On peut toujours s'installer sur le coin de terre le moins fertile de l'agriculteur. Et aucune industrie ne paye un meilleur loyer que celle du pétrole et du gaz.

Q Les écologistes doutent des avantages qu'on attribue au gaz de schiste dans le contexte québécois.

R Le Québec consomme déjà du gaz de schiste, mais il vient de l'Alberta ou de la Colombie-Britannique. Et ça va aller en augmentant: on ne découvre plus de gaz naturel ordinaire. Alors, vous avez le choix entre payer pour le gaz et garder les emplois et les redevances ici, ou payer pour le gaz et laisser le reste là-bas avec votre argent. En plus, en prenant le gaz localement, on évite environ 5% des émissions associées à son transport.

Q La population craint aussi la pollution et les nuisances causées par les équipements de raffinage et de transport du gaz. Qu'en pensez-vous?

R Avec la pureté du gaz d'ici, on peut se passer de raffinage. Il ne resterait que les condensateurs et les compresseurs. Et grâce au faible coût de l'hydroélectricité, il faudrait songer à convertir nos pompes à l'électricité. C'est ce que nous avons fait en Saskatchewan. En plus d'être moins polluantes que le diesel, les pompes électriques sont plus silencieuses.

Q Une étude a récemment affirmé que les émissions de gaz à effet de serre (GES) du gaz de schiste sont sous-estimées à cause des fuites, et que le gaz est aussi polluant que le charbon. Qu'en pensez-vous?

R Quand les études sur les fuites ont été faites, en 1993, elles ont conclu à un taux de fuites de 1,5%. À l'époque, le gaz coûtait 1$ les 1000 pi2. Aujourd'hui, il est à 4$ et, croyez-moi, nous ne serions pas contents du tout avec un taux de fuite de 1,5%. C'est du gaz qu'on est capable de vendre! De toute manière, plus on se rapproche du consommateur, moins il y a de fuites. En outre, cette fameuse étude est truffée d'erreurs et a donné des munitions à l'industrie du charbon. Or, le charbon, actuellement, souffre de la concurrence du gaz aux États-Unis. C'est étrange parce que les adversaires du gaz se retrouvent dans deux camps opposés: l'industrie du charbon et les écologistes, alors que le gaz représente une solution de compromis.