Dans un geste qui semble précipité, le ministère de la Santé a demandé à ses experts de préparer un rapport sur «les impacts sanitaires liés à l'exploration et à l'exploitation des gaz de schiste au Québec», a appris La Presse.

Ce mandat, donné le 13 septembre, doit aboutir sur un «document de travail» vers la mi-octobre, selon Nathalie Lévesque, porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

Le travail a été confié à un comité composé de membres de l'Institut national de santé publique et de représentants des agences régionales de santé publique de la Montérégie, du Centre-du-Québec et de Chaudière-Appalaches.

Le comité doit revoir la littérature scientifique sur le sujet, évaluer les impacts des activités normales, des accidents potentiels et des nuisances et formuler des recommandations.

Pendant ce temps, l'industrie tente d'endiguer la vague d'opposition qui s'est levée dans les dernières semaines en jouant la carte de la transparence.

La firme Questerre a dévoilé la liste des produits qu'elle utilise dans ses forages. Elle énumère 12 produits mélangés à l'eau de fracturation, à des concentrations variant de 0,048% à 0,00002%.

Cette firme albertaine, active dans l'exploration gazière au Québec depuis 20 ans, a fait un forage à Saint-Jean-sur-Richelieu en 2008.

Les concentrations de produits chimiques qu'elle révèle permettent de faire des calculs pertinents compte tenu des volumes d'eau utilisés pour chaque opération de fracturation, note Claude Viau, spécialiste en santé environnementale à la faculté de médecine de l'Université de Montréal.

«Par exemple, dit M. Viau, si on prend le polyacrylamide, la concentration peut paraître faible, à 0,048%, mais si on utilise 10 millions de litres d'eau, ça donne quand même 4,8 tonnes de produit.»

Et si l'entreprise insiste sur le fait que le polyacrylamide est «utilisé dans les jouets, les couches, les verres de contact et la chirurgie esthétique faciale», elle ne précise pas que cette substance peut se transformer en acrylamide, qui a des effets néfastes pour la santé, note M. Viau.

Inquiétudes pour l'air

Le nombre de 12 produits contraste avec la liste de près de 1000 composés établie dans une nouvelle recherche scientifique sur la question. Cette étude de Theo Colborn, spécialiste réputée de l'impact de la pollution chimique sur la santé, compile pour la première fois les données sur les produits chimiques utilisés par l'industrie gazière.

Ses conclusions: les dangers de contamination de l'eau par l'industrie gazière monopolisent l'attention, mais il faudrait en outre s'inquiéter pour l'air.

Mme Colborn et son équipe ont colligé une liste des produits utilisés pour le forage et la fracturation des puits de gaz dans huit États américains. Ses sources sont les déclarations des entreprises, obligatoires dans certains États, bien qu'avec une rigueur variable, ainsi que des rapports d'accidents et des rapports d'agences fédérales américaines.

La recherche de Mme Colborn doit paraître prochainement dans une revue scientifique, l'International Journal of Human and Ecological Risk Assessment.

Elle a recensé près de 1000 composés faits d'au moins 632 produits chimiques différents. De ce nombre, seulement 353 étaient décrits avec suffisamment de précision pour que leur risque pour la santé soit évalué.

Une exposition chronique à 52% de ces produits causerait une atteinte au système nerveux; 46% d'entre eux nuisent au système cardiaque; 40% au système immunitaire. Dans 25% des cas, les produits sont des cancérigènes connus.

«Notons que 37% des produits peuvent porter atteinte au système endocrinien, qui englobe plusieurs organes, dont ceux nécessaires à la reproduction et à la croissance», précisent les chercheurs.

La recherche ajoute que 37% des produits sont volatils, c'est-à-dire qu'ils s'évaporent facilement et ne peuvent être contenus aisément sur le site du forage. En proportion, les composés volatils sont plus nombreux (81%) à nuire au système nerveux.

«Les porte-parole de l'industrie ont affirmé qu'il n'y a pas à s'inquiéter parce que les concentrations utilisées sont faibles, note-t-on. En dépit de cela, on connaît mal les mécanismes de contamination pour des concentrations inférieures à une partie par million, et plusieurs des produits de la liste ne devraient pas être ingérés, peu importe la concentration. Plusieurs systèmes vitaux, dont le système endocrinien, sont extrêmement sensibles à de très faibles doses de produits chimiques, de l'ordre d'une partie par milliard ou moins.»

Cette recherche a des limites, dit M. Viau, «C'est un bilan intéressant, mais c'est agaçant de voir une liste des produits sans les concentrations pour juger de leur toxicité», dit M. Viau.

Mais, dit-il, l'étude de Mme Colborn a le mérite de montrer que le sujet est d'une «grande complexité». Cela fait craindre pour le sérieux du travail de la Santé publique, dit M. Viau. «Il faut examiner, substance par substance, des facteurs comme la volatilité, les interactions potentielles, la persistance, dit-il. Ils ne pourront faire plus qu'un rapport préliminaire. Est-ce qu'on veut baser des décisions sur un rapport préliminaire?»