Le réchauffement de la planète menace les pêches. Mais les progrès de la gestion des stocks de poissons peuvent contrer les changements climatiques et même en profiter, selon des chercheurs américains.

Le golfe du Maine sera beaucoup plus chaud à la fin du siècle. Dans certains secteurs, la température de ses fonds marins grimpera de 6 ℃. Moins de 1 % des océans et mers de la planète vivront une augmentation de la température plus importante.

Face à ce défi, les biologistes marins redoublent d'efforts pour améliorer la gestion des pêches. « Si on n'incorpore pas à la gestion des pêches l'impact des changements climatiques sur les stocks de poissons et leur migration vers le nord, on va vers la catastrophe », expliquait Christopher Costello, biologiste à l'Université de Californie à Santa Barbara, lors d'un symposium sur le sujet à la dernière réunion annuelle de l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS), en février à Boston. « La bonne nouvelle, c'est qu'il est possible de le faire, tout comme il a été possible de rétablir la santé des pêches aux États-Unis avec une gestion serrées des stocks et des quotas. Le défi sera maintenant d'étendre ces pratiques à l'ensemble de la planète, et particulièrement aux eaux internationales. Si on y réussit, les pêches mondiales seront encore plus productives que maintenant. »

Sur la base d'une analyse de 780 espèces de poissons de 4400 régions, représentant 74 % des prises mondiales, M. Costello calcule que sans une gestion scientifique des pêches, le tonnage de poisson ramené à port chutera de 15 % à 20 % et les profits de 30 % d'ici 2100. Avec une gestion adéquate, les profits augmenteront de 90 %, les prises de 10 % et la quantité de poissons dans les mers, de 30 %. Ces résultats sont basés sur une augmentation prévue de 2,2 degrés de la température de la planète.

« Avec un tel réchauffement, plus du tiers des espèces commerciales de poissons vont quitter au moins un pays où elles sont pêchées actuellement, dit M. Costello. Les changements vont être plus rapides dans l'Atlantique que le Pacifique, où la circulation océanique est moins grande. De manière générale, la productivité des mers va augmenter plus on va au nord. En Équateur, où les espèces de poissons sont déjà à la limite de leur zone de température, les pêcheries vont être moins bonnes qu'aujourd'hui. »

Coup de chance, la Nouvelle-Angleterre, l'une des régions du monde où les stocks de poissons sont les mieux gérés, connaîtra une augmentation de la température beaucoup plus rapide qu'ailleurs dans le monde. « On peut déjà prévoir où iront les stocks de poissons, grâce à des modèles d'évolution des températures des fonds marins beaucoup plus précis sur le plan spatial que les modèles du GIEC [NDLR l'organisme de l'ONU qui fait les prévisions des changements climatiques] », explique Vincent Saba, un biologiste de l'Administration nationale océanographique et atmosphérique des États-Unis (NOAA) qui donnait une présentation sur le sujet à une réunion de l'Union géophysique américaine (AGU), début juin à Washington. « La plie, par exemple, bougera beaucoup, vers le nord-est, presque à la pointe du Connecticut. Le homard bougera moins mais sa productivité va exploser, parce qu'il est actuellement à la limite nord de sa zone de température. On a déjà vu les prises péricliter au Connecticut et augmenter dans le Maine. Par contre, il se retrouvera davantage aux large. »

Qu'arrivera-t-il au golfe du Saint-Laurent ? « Il y a généralement moins de changements de température que dans le golfe du Maine, sauf dans le sud, dit M. Saba, en entrevue après la présentation depuis Princeton au New Jersey. Je dirais que généralement, ça sera une bonne nouvelle pour les pêches dans les Maritimes. » Environnement Canada, dans des rapports, a par contre prévenu que les conditions de l'estuaire du golfe pourraient changer.

Ces modélisations ne tiennent pas actuellement compte des changements de la dynamique de mortalité des espèces à cause des changements d'habitats et d'interactions avec les autres espèces, particulièrement les concurrents, les prédateurs et les proies.

C'est en quelque sorte une répétition générale des ajustements à la gestion des pêches qu'il faudra étendre aux sept mers pour éviter le drame. « Ensuite, nous pourrons faire partager nos connaissances avec le reste du monde, dit M. Costello. Avec les progrès de la surveillance par satellite des navires de pêche et les nouvelles ententes internationales facilitant la surveillance des eaux des pays pauvres, qui n'ont pas assez de fonds pour avoir un garde-côte adéquat, par les autorités des autres pays, on peut vraiment régler le problème de la surpêche partout. »

D'autres chercheurs ont plutôt proposé de fermer les eaux internationales à la pêche. « Je pense que c'est irréaliste politiquement, et surtout que ça mettrait beaucoup de pêcheurs au chômage », expliquait Michael Harte, géographe de l'Université d'État de l'Oregon, au congrès de l'AAAS à Boston en février. « Dans plusieurs pays, plus du quart des prises sont faites en haute mer. À Taiwan, c'est plus de 60 %. Si on n'arrive pas à s'entendre pour partager les ressources en eaux internationales, comment arrivera-t-on à gérer les stocks qui vont des eaux d'un pays à celles d'un autre ? On risque de revenir aux guerres de la morue entre l'Islande et le Royaume-Uni entre les années 50 et 70. Depuis 2010, il y a des tensions entre différents pays de l'Union européenne et les îles Féroé au sujet du hareng. »

80 millions de tonnes : Prises des pêcheries mondiales

85 millions de tonnes : Production de l'aquaculture mondiale

20 % : Poissons et crustacés représentent plus du cinquième des protéines de la diète de 3 milliards de personnes

10 % des habitants de la planète tirent leurs revenus exclusivement de la pêche

10 kg par personne : Consommation moyenne mondiale de poisson dans les années 60

15 kg par personne : Consommation moyenne mondiale de poisson dans les années 90

20 kg par personne : Consommation moyenne mondiale de poisson en 2015

Sources : UCSB, FAO