Les Afghans scrutent les cimes avec anxiété à l'approche attendue des premiers flocons: le manque de neige persistant prive ce pays essentiellement agricole de sa principale source d'eau, une nouvelle cause de déstabilisation.

Les deux derniers hivers, Kaboul est restée privée de neige, fait très inhabituel pour cette capitale d'altitude (plus de 1500 m) dominée par les contreforts de l'Hindou Kouch. Un proverbe assure même que «Kaboul peut vivre sans or, mais pas sans neige».

Sa rivière, essentiellement alimentée par la fonte des neiges, s'est asséchée plus tôt que d'habitude, et ne charrie plus que des ordures.

L'Afghanistan, pays aride et semi-aride enclavé au coeur de l'Asie centrale, a été classé en 2012 par le PNUD (programme de l'ONU pour le développement) parmi les plus vulnérables au changement climatique, et en subit déjà les effets grandeur nature.

«Dans tout le pays depuis une décennie, on alterne sécheresse et inondations» en raison des sols déshydratés sur lesquels les pluies glissent sans s'infiltrer, confirme Mohammad Salim, expert en climat du PNUD à Kaboul. «À ce rythme, les sécheresses vont devenir la nouvelle norme», redoute l'expert qui s'inquiète pour «la sécurité alimentaire» des plus pauvres.

Mohammad Salim remarque que seules 10 % des terres afghanes étant cultivables, l'impact des catastrophes naturelles est d'autant plus lourd.

«L'accès à la terre et à l'eau est déjà une cause de conflit localement», souligne-t-il. «Ce n'est donc pas qu'une question d'insécurité alimentaire, mais de sécurité tout court».

Les scientifiques prévoient d'ici 45 ans des températures moyennes supérieures de 4 °C à celles de 1999 en Afghanistan. Pour mémoire, les négociations internationales en cours à Marrakech (Maroc) sous l'égide de l'ONU visent à contenir la hausse mondiale du thermomètre «bien en deçà des 2 °C» pour garder un climat gérable.

Sécheresse et talibans

«Avec le terrorisme, le changement climatique est l'un des pires défis pour l'Afghanistan», confirme le directeur adjoint de l'Agence nationale de protection de l'environnement (NEPA), Kazim Hamayun.

«La sécheresse et la dégradation des sols contribuent potentiellement au terrorisme,» affirme-t-il en rappelant que «80 % des Afghans vivent de l'agriculture: s'ils perdent leur travail à cause de la sécheresse, ils vont rejoindre les insurgés».

Les talibans, qui contrôlent déjà 40 % du territoire afghan, entretiennent un conflit meurtrier sans marquer véritablement de points.

À des degrés divers, toutes les régions du pays sont concernées par les perturbations climatiques, mais celles du centre le sont davantage, reprend Kazim Hamayun: «Les habitants n'ont pas seulement perdu leurs terres, mais aussi leur bétail» avec la sécheresse.

Pour Sayed Daoud Mosavi, directeur de projets agricoles dans la province centrale de Bamiyan, celle où les islamistes ont dynamité les bouddhas, «la sécheresse a commencé du temps des talibans (1996-2001), deux fléaux en même temps».

«Quand j'étais gamin, il était impossible en hiver de rouler entre Bamiyan et Yakolang, 100 km à l'ouest. Seuls les ânes passaient dans la neige. Mais depuis trois ans, les routes sont ouvertes», explique cet homme de 34 ans.

Deux districts d'altitude sont particulièrement touchés, dit-il: «Les paysans ont construit une vingtaine de retenues, mais ça ne suffit pas, ils ont arrêté d'y cultiver les pommes de terre», seule culture commerciale dans cette zone particulièrement peu développée.

La neige fait tellement partie de la vie afghane que les «grandes vacances» scolaires y sont programmées au coeur de l'hiver, de mi-décembre à mi-mars, quand les routes sont réputées impraticables.

Mais les modifications du climat impactent aussi la saison des combats: alors qu'elle prenait fin traditionnellement à l'arrivée des premières neiges, pour reprendre au printemps, elle n'a pas vraiment cessé l'an passé.

«L'hiver dernier, bien plus chaud que les autres, les combats ont été plus intenses que d'habitude,» confirme une source militaire occidentale.

Et les prévisions ne sont guère encourageantes d'ici au printemps, selon USAid, la coopération américaine, qui annonce des précipitations au mieux «dans la moyenne» et plus sûrement «en dessous» d'ici avril.

«Regardez, on est mi-novembre et le froid n'est même pas arrivé,» témoigne Mohammad Salim.