La crise avec la Russie et les menaces sur les fournitures de gaz contraignent les dirigeants européens à un difficile exercice pour maintenir l'UE unie face à Moscou et éviter que s'enlise son ambitieux projet pour le climat.

Plus que jamais, les Européens, réunis en sommet jeudi et vendredi à Bruxelles, sont divisés sur les nouveaux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'UE pour 2030.

La Commission européenne appelle l'UE à réduire ses émissions de 40% par rapport à leur niveau de 1990. Elle prône également de porter à au moins 27% la part des renouvelables dans le bouquet énergétique de l'UE et recommande de réaliser 25% d'économies d'énergie.

Or, «de grandes disparités sont constatées entre les États membres dans le secteur de l'énergie», explique le vice-Premier ministre grec, Evangelos Venizelos. «Elles sont dues au fait que certains États produisent de l'énergie nucléaire et d'autres non, mais aussi aux limitations imposées sur l'utilisation de leurs ressources naturelles et aux grands écarts de prix payés par les pays pour le gaz naturel».

Première conséquence: plusieurs États refusent de prendre un quelconque engagement pour de nouveaux objectifs contraignants de limitations des émissions de gaz à effet de serre.

La décision de suivre ou non les recommandations de la Commission appartient aux chefs d'État et de gouvernement, dont l'unanimité est exigée car la composition du bouquet énergétique est une prérogative souveraine des Etats.

«La réduction de 40% ne fait pas consensus», reconnaît une source française.

Le Premier ministre slovaque, Robert Fico, a été catégorique. «Les objectifs climatiques proposés sont inacceptables pour la Slovaquie. Nous ne pouvons pas soutenir un objectif de réduction de 40% des émissions de CO2 car cela signifierait la fin de l'industrie en Slovaquie», a-t-il déclaré jeudi avant le sommet des dirigeants de l'UE à Bruxelles.

Le projet de conclusions obtenu par l'AFP ne fait aucune référence à une valeur limite pour les émissions de gaz à effet de serre ou les objectifs pour les énergies renouvelables.

Paris, qui organise le sommet mondial sur le climat fin 2015 avec l'ambition d'arracher un accord contraignant, entend se battre pour parvenir à ce que «le chiffre de 40% soit mentionné» dans les conclusions.

Mais le président du conseil européen, Herman Van Rompuy, veut éviter une confrontation. «Mon intention est de faire approuver une feuille de route qui puisse permettre un accord sur les trois objectifs climatiques en octobre au plus tard», a-t-il dit.

Sécuriser les approvisionnements

Les dirigeants européens veulent donner la priorité aux moyens d'assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques de l'UE.

Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, réclame de «nouveaux principes de coopération en Europe pour renforcer l'indépendance de toute l'Union européenne par rapport aux sources d'énergie russes».

L'Espagne est sur cette ligne et réclame des garanties sur «les investissements pour les interconnexions». Le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, a annoncé son intention de batailler pour la réalisation de «Midcat», le projet de gazoduc via la France dont la réalisation vient d'être reportée.

«Si Midcat était opérationnel, il pourrait acheminer d'Afrique du nord l'équivalent de la moitié du gaz qui vient de Russie via l'Ukraine», a-t-il soutenu.

L'UE dépend considérablement du gaz russe. Gazprom a vendu 133 milliards de m3 aux pays de l'UE en 2013, soit une hausse de 16,3% par rapport à 2012. Ces achats couvrent environ 25% de la consommation de l'UE, avec de grandes disparités.

L'an dernier, les principaux acheteurs ont été l'Allemagne (40 milliards de m3), l'Italie (25,3 milliards) et le Royaume-Uni (12,4 milliards). Plusieurs États - Lituanie, Lettonie, Estonie, Finlande, Pologne, Hongrie, Slovaquie et Bulgarie - sont totalement dépendants des fournitures russes.

Cette situation se traduit par une grande frilosité devant la perspective d'une guerre commerciale avec Moscou. Si de nouvelles sanctions sont décidées contre la Russie, elle déclencheront des représailles et «il faudra assurer que leur impact en Europe sera bien partagé», soutient Paris. «Chacun devra assumer sa part», a confirmé une source européenne.