Alors que le taux de gaz à effet de serre a franchi cette semaine un sommet jamais vu depuis 3,2 millions d'années, le réputé climatologue canadien Michel Béland est pessimiste. Il croit que l'objectif de limiter le réchauffement à 2 degrés Celsius, ce seuil jugé dangereux et cet objectif officiel fixé à Copenhague en 2009, est déjà hors de portée. Et il se fait critique du ministre des Ressources naturelles, Joe Oliver. M. Béland termine son mandat de président de la Commission des sciences de l'atmosphère de l'Organisation météorologique mondiale (OMM). La Presse l'a interviewé cette semaine.

Q: Le taux de dioxyde de carbone dans l'atmosphère a franchi la barre des 400 parties par million. A-t-on toujours des raisons de s'inquiéter de l'avenir du climat mondial?

R: Les chercheurs à qui je parle sont pessimistes. Ils disent qu'il est pratiquement impossible de stabiliser la température à 2 degrés et qu'on s'en va plus vers 4 degrés en 2100. Ce qui est catastrophique. Je pense que 2 degrés, c'est déjà en banque. Et je m'attends à ce que le prochain rapport du GIEC [Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat] en fasse état, même s'il est basé sur des recherches qui datent déjà de deux ans. Ce qui est dangereux, c'est que la hausse ne se fait pas sur des milliers d'années, mais sur un siècle. On peut vivre avec une température plus chaude, mais on ne peut pas s'adapter à la vitesse de ce changement.

Q: Mais des gens comme le ministre fédéral des Ressources naturelles, Joe Oliver, disent qu'il y a moins de raisons de s'inquiéter d'un réchauffement de 2 degrés. Ils citent entre autres un récent rapport du Met Office, l'agence britannique sur le climat.

R: Le ministre Oliver a mal interprété le Met Office. Ce que le Met Office fait régulièrement, c'est une prévision pour la décennie. Mais c'est expérimental. Dans les faits, dans la dernière décennie, il y a eu un ralentissement du réchauffement. Il y a un débat sur le pourquoi. Mais les températures d'une année à l'autre ou même sur une décennie ne progressent pas de façon linéaire. Il peut y avoir plusieurs plateaux. Et les données sont partielles parce qu'elles ne concernent que la température de l'atmosphère. Il y a des échanges entre l'atmosphère et les océans, qui absorbent la grande majorité du réchauffement. Le bottom line, c'est que depuis 1880, la température du globe est en hausse constante et la dernière décennie est la plus chaude. La tendance n'a pas changé.

Q: Votre collègue Michel Jarraud, secrétaire général de l'OMM, a affirmé la semaine dernière que la fonte accélérée de la banquise est un «signe inquiétant du changement climatique». Qu'en pensez-vous?

R: On observe un type de temps inhabituel dans l'hémisphère Nord. Et il y a peut-être un lien avec le réchauffement dans l'Arctique. Des chercheurs croient que c'est lié au ralentissement du courant-jet. C'est une zone de vents très rapide à 10 km d'altitude à peu près. Ce courant est provoqué par l'écart de température entre les masses d'air polaires d'un côté et l'air tropical et subtropical de l'autre. Comme le pôle s'est réchauffé plus vite, de 3 ou 4 degrés contre moins de 1 degré pour la moyenne du globe, l'écart de température diminue et le courant-jet faiblit. Les crêtes et les creux qu'ils forment vont pouvoir stagner une, deux ou trois semaines. Si on est dans un creux, on a des masses d'air froid. On est dans une crête, on a une masse d'air chaud. On a observé ça l'an dernier avec un printemps extrêmement chaud ici et au contraire extrêmement froid en Europe. De plus en plus d'articles scientifiques montrent que ce phénomène se renforce avec la fonte de la banquise. On découvre que l'accélération du réchauffement en Arctique n'a pas juste un impact local. Ça va toucher tout l'hémisphère Nord.

Q: Depuis 10 ans, la science du climat a perdu de sa crédibilité chez un certain public alors qu'au contraire, en réalité, elle continue de se perfectionner. Qu'en dites-vous?

R: On va souvent avoir dans certains médias l'opinion de gens que nous on connaît, qui ne sont pas des scientifiques crédibles, qui sont financés par des fondations comme celle des frères Koch et on leur donne la même importance qu'à des experts reconnus. Même si l'idée est de présenter les deux côtés d'une histoire, les médias font erreur en procédant ainsi. L'opposition est tellement faible: 99% des climatologues sont d'accord sur l'essentiel.

Le taux de dioxyde de carbone dans l'atmosphère a franchi cette semaine les 400 parties par million (PPM). Du jamais vu depuis au moins 3,2 millions d'années. À cette époque, la température sur Terre était de 2 à 3 degrés Celsius plus chaude qu'aujourd'hui et le niveau des océans, de 25 mètres plus élevé. Au début du XXe siècle, le taux de dioxyde de carbone (CO2), le principal gaz à effet de serre (GES), avait dépassé 300 parties par million pour la première fois depuis au moins 800 000 ans. Au rythme actuel, la barre des 450 PPM sera franchie d'ici quelques décennies. Le laboratoire de Mauna Loa, à Hawaii, mesure chaque heure le taux de CO2 dans l'atmosphère depuis 1958. Un pic dans le taux de CO2 apparaît chaque année en mai, avant la saison de croissance végétale dans la forêt boréale.