Pendant que les systèmes politique et économique tergiversent, la réalité climatique avance inexorablement, si bien que, si elle veut espérer éviter la catastrophe, l'humanité devra absorber les gaz à effet de serre plus vite qu'elle n'en émet dans la deuxième moitié de ce siècle.

C'est le résultat des plus récentes simulations du laboratoire de prévisions climatiques d'Environnement Canada, présentées hier au symposium Ouranos, à Montréal.

Gregory Flato, chef scientifique du Centre canadien de la modélisation et de l'analyse climatique à Environnement Canada, a déterminé quels efforts seraient nécessaires pour stabiliser le climat autour d'un réchauffement de 2°C.

C'est l'objectif convenu à la conférence de Copenhague en 2009 afin d'éviter des changements climatiques dangereux.

«Afin d'atteindre cette stabilisation, les émissions de gaz à effet de serre doivent commencer à diminuer immédiatement, et cette diminution doit être d'une ampleur comparable à l'augmentation des dernières décennies, a-t-il dit en conférence. Par la suite, dans la deuxième moitié du siècle, elles doivent devenir négatives, c'est-à-dire que l'humanité doit commencer à absorber plus de gaz à effet de serre qu'elle n'en émet.»

«Évidemment, c'est tout un défi», a-t-il ajouté. Ses propos ont provoqué un murmure dans l'assistance de 400 personnes, composée de scientifiques et de fonctionnaires.

Émissions en forte hausse

Un défi parce que les émissions sont en forte hausse depuis une décennie.

Les tendances actuelles de consommation de pétrole, de charbon et de gaz entraînent le climat vers une hausse de 4°C en 2060 et de 6° en 2100. «Ce monde serait tellement différent de celui dans lequel nous vivons qu'il est difficile de le décrire», a d'ailleurs déclaré dimanche à ce sujet le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim.

La semaine dernière, l'Agence internationale de l'énergie a affirmé que les deux tiers des réserves mondiales d'hydrocarbures devraient rester inexploités d'ici à 2050 si on veut stabiliser le climat.

L'AIE fonde beaucoup d'espoir dans les techniques de capture et de séquestration du carbone (CCS), qui pourraient permettre de réduire les émissions de gaz carbonique. Mais l'Agence constate que, pour l'instant, il y a peu de projets de CCS à l'échelle industrielle et que le rythme de déploiement de ce type de technologie demeure «hautement incertain».

Deux méthodes

La perspective d'un dérèglement du climat suscite des idées radicales, comme la manipulation climatique (géo-ingénierie).

M. Flato a étudié les impacts de deux méthodes de géo-ingénierie: l'injection de sulfates dans la stratosphère et le reboisement massif.

Dans le premier cas, il s'agit de créer un pare-soleil composé de fines particules afin de refroidir l'atmosphère. C'est ce qui se produit naturellement quand il y a une forte éruption volcanique.

«Cette solution permet peut-être de stabiliser la température moyenne globale, mais les effets sont très différents d'une région à l'autre, dit M. Flato. Par exemple, les pôles continueraient de se réchauffer et la sécheresse serait amplifiée dans d'autres régions.»

Et il ne faut pas mettre trop d'espoirs dans la deuxième approche, dit-il. «Même en reboisant 50% de la surface actuellement utilisée pour l'agriculture, on retrancherait seulement 0,26°C au réchauffement.»

Compte tenu de tout cela, est-il vraiment souhaitable de miser sur l'exploitation massive des sables bitumineux et des autres hydrocarbures?

La Presse a posé la question à M. Flato, mais il est assujetti à des règles strictes quant aux entrevues avec les journalistes, qu'il dirige vers le service des relations avec les médias d'Environnement Canada. Ce service a refusé de répondre à cette question.

Est-il trop tard?

«Est-il trop tard? C'est le titre de mon prochain livre!», répond Claude Villeneuve, professeur de biologie à l'Université du Québec à Chicoutimi et spécialiste du climat. «On a manqué l'occasion de stabiliser le climat à plus 2°C. On va être obligés de vivre dans un monde à plus 4°C. Mais il ne faut pas démissionner. Il y a une quinzaine de pays qui représentent 80% des émissions mondiales, il faut qu'ils s'entendent.»

Il craint les États-Unis plus que la Chine: «Dans les économies émergentes comme la Chine, l'augmentation des émissions est liée à la production qu'ils nous renvoient chez nous. Mais du côté des États-Unis, le système politique est paralysé sur la question du climat.»

Le fait qu'on doive maintenant prévoir absorber plus de carbone que les émissions souligne l'importance du reboisement, affirme M. Villeneuve. «Sur 400 000 hectares, on absorberait 5% des émissions industrielles du Québec, dit-il. Et cela n'implique qu'une augmentation de 5% de la production annuelle de plants dans les pépinières.»