Un Québec toujours aussi boulimique qui nage dans de ruineux surplus d'électricité. Une population agitée par les débats sur le pétrole et le gaz. Des projets d'électrification des transports qui tardent à faire une réelle différence alors que les autoroutes continuent d'avoir la cote chez une bonne partie de la population et des politiciens.

Tous ces sujets sont abordés dans le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, qui a été rendu public hier par la ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet. Il fait suite à des consultations qui ont suscité 460 mémoires l'automne dernier.

La Presse s'est entretenue avec les deux coprésidents de cette commission: Normand Mousseau, professeur au département de physique de l'Université de Montréal, et Roger Lanoue, qui a travaillé pendant plus de 20 ans chez Hydro-Québec à titre de vice-président à la planification stratégique et au développement des affaires.

Q: Comment résumez-vous la situation énergétique du Québec?

R: Roger Lanoue: Il n'y a pas de problème d'approvisionnement pour le pétrole, le gaz ou l'électricité. Il faut maîtriser la consommation.

Normand Mousseau: On consomme trop, mais on est en surplus. Le seul problème qu'on a réellement, c'est la lutte contre les changements climatiques, et on n'y est pas, du point de vue des solutions.

Q: Pourquoi consomme-t-on autant d'énergie au Québec?

R: RL: Depuis 40 ans, la consommation par habitant est stable ici, alors qu'elle a diminué ailleurs. Les bâtiments sont 50% moins isolés au Québec qu'au Vermont. En Suède, ils ont réussi à diminuer de moitié leurs émissions de gaz à effet de serre tout en gardant le même niveau de consommation d'énergie.

Q: Vous accusez le mode de développement qui continue d'être axé sur les «Super Centers» et les banlieues dépendantes de l'automobile. Est-ce que l'industrie de la construction est l'ennemi à abattre?

R: NM: On dit aussi qu'il faut améliorer les transports en commun et densifier les villes. C'est de la construction, ça aussi. On ne dit pas de ne plus construire, mais de le faire différemment.

RL: Et si on privilégie la maîtrise de l'énergie, comme nous le proposons, il y a de l'argent qui est redirigé vers la construction. Actuellement, on va choisir le bâtiment le moins cher même s'il consomme quatre fois plus d'énergie. Mais si, par exemple, le prêt hypothécaire permet d'inclure le coût de l'énergie, on peut investir plus dans le bâtiment pour le rendre plus efficace.

Q: Le secteur financier est-il prêt pour ce virage? Est-ce que cela a fonctionné ailleurs?

R: RL: On voit quelques exemples en Angleterre et aux États-Unis, mais si le Québec se lançait dans cette voie, nous serions parmi les précurseurs.

Q: Vous faites un constat très sévère par rapport aux investissements qui ont été faits depuis le milieu des années 2000. Vous estimez que les nouveaux barrages et les parcs éoliens seront déficitaires et pourraient coûter 1,5 milliard par année. Est-ce que quelqu'un l'avait vu venir?

R: NM: Moi, je l'ai écrit en 2008. La demande stagne depuis 2002.

RL: À partir de 2007 ou 2008, le gouvernement du Québec aurait pu se poser des questions. Mais à l'époque, il était question du Plan Nord et de stimuler les projets d'investissement. À l'avenir, s'il doit y avoir d'autres investissements, on recommande que ce soit public et non privé.

Q: Craignez-vous qu'Hydro-Québec ne devienne déficitaire avec ces projets non rentables?

R: RL: Non, le coût d'amortissement des nouveaux projets sera peu à peu intégré aux tarifs et sera refilé aux consommateurs.

Q: Votre première recommandation vise la lutte contre les changements climatiques. Mais en même temps, vous recommandez que le Québec suspende sa participation au nouveau marché du carbone qu'il vient juste de lancer avec la Californie. Pourquoi?

R: RL: Tout ce qu'on va faire avec ce marché est d'envoyer des fonds en Californie, où les réductions d'émissions de gaz à effet de serre sont moins chères. Ils ont encore des centrales au charbon. Les gens du secteur des pâtes et papiers nous ont dit que ce système pourrait entraîner des déplacements d'investissement du Québec vers les États-Unis.