La planète est en crise, mais « ça ne paraît pas », déplore Extinction Rebellion. Le mouvement prône des actions radicales, mais pacifistes, pour forcer les États à agir. Et il est en train de s'installer au Québec.

Il est 7 h quand une douzaine de personnes font irruption dans la banque Pétro pour en bloquer l'entrée ; un coup d'éclat pour réclamer que l'institution cesse de financer l'industrie des énergies fossiles.

La police arrive rapidement sur les lieux et entreprend de déloger les manifestants par la force, mais la tâche n'est pas de tout repos puisqu'ils s'accrochent les uns aux autres et se laissent choir lourdement sur le sol quand on parvient à les séparer, appliquant la technique de la « poche de patates ».

La scène n'est en réalité qu'une simulation ; ce ne sont pas de vrais policiers et la banque Pétro n'existe pas.

Seuls les militants sont réels.

Nous sommes dans un atelier de la rue Saint-Denis, à Montréal, où se donne une formation à la désobéissance civile pour les membres du mouvement environnementaliste Extinction Rebellion (XR).

300 membres au Québec

Né en octobre dernier, en Grande-Bretagne, XR prône des gestes radicaux, mais non violents, pour alerter l'opinion publique et forcer les gouvernements à prendre des moyens draconiens pour freiner le réchauffement climatique et faire face à ses conséquences.

Le mouvement a rapidement essaimé un peu partout dans le monde, notamment au Québec, où il a commencé à s'organiser en décembre.

Le « chapitre » québécois compte déjà 300 membres, ont indiqué deux de ses instigateurs, François Léger Boyer et Daniel Horen Greenford, lors de la journée de formation à laquelle La Presse a assisté, samedi. « La mobilisation est supérieure à mes attentes. »

Cet ancien de Greenpeace a dû « refuser des dizaines de personnes » aux trois journées de formation prévues.

Il envisage maintenant d'en organiser sur une base mensuelle.

Au menu : techniques de base de l'action non violente, notions juridiques liées au droit de manifester et au pouvoir des policiers, conseils de sécurité et même quelques trucs pour s'adresser aux médias.

Car le mouvement XR cherche la médiatisation, afin de « passer un message à une large audience », explique François Léger Boyer, qui recommande aussi aux militants de ne pas être arrogants avec les policiers.

« On fait ça pour eux aussi, on fait ça pour leurs enfants, pour leur famille. Ce ne sont pas eux nos adversaires. Eux, ils font leur travail, et ce sont peut-être même eux qui vont assurer notre sécurité pendant nos actions. »

De la Crise d'octobre à la crise climatique

Les mains dans le dos, comme s'il était menotté, Serge Mongeau est « arrêté » lors de la simulation.

L'homme de 82 ans en a vu d'autres : comme près de 500 autres personnes, il a été arrêté en octobre 1970, lorsque fut décrétée la Loi sur les mesures de guerre, avant d'être relâché sans accusation, huit jours plus tard.

La prison ne fait pas peur à cet ancien médecin, devenu auteur et éditeur, qui est un ardent défenseur de l'environnement et qui craint « l'effondrement prévu de notre civilisation » en raison de la crise climatique.

C'est d'ailleurs le point de départ d'Extinction Rebellion : la conviction que le réchauffement climatique entraînera à terme l'extinction de la vie humaine.

Le mouvement accuse les gouvernements de ne pas dire la vérité à la population au sujet de l'urgence de la situation, voire d'« inaction criminelle ».

« On s'achemine vers des catastrophes épouvantables », lance Serge Mongeau, qui rappelle que le réchauffement climatique entraîne déjà de nombreuses catastrophes écologiques, telles que des inondations et des canicules.

« La nature est plus sage que nous et elle est en train de nous dire "vous avez exagéré, ça n'a pas d'allure". »

Estimant « désespérant » le peu d'empressement des autorités à s'attaquer à la crise, Serge Mongeau croit que « des actions de désobéissance civile, ça peut alerter la population et forcer les gouvernements à changer » d'attitude.

« Il va falloir radicaliser nos actions », prévient-il.

Vers une « escalade des moyens de pression »

« Les pétitions, le Pacte, ç'a déjà été essayé », explique François Léger Boyer, qui prône maintenant une « escalade des moyens de pression ».

Ces actions sont « nécessaires » et viennent même « légitimer » le recours à la désobéissance civile, affirme-t-il, précisant qu'Extinction Rebellion Québec pourrait mener ses premiers coups d'éclat en avril.

Cela n'implique « pas nécessairement » de poser des gestes illégaux, précise Daniel Horen Greenford, le « scientifique en chef » de la section québécoise, qui fait un doctorat sur les enjeux climatiques à l'Université Concordia.

« Le but, c'est de faire des choses qui perturbent le quotidien des gens, du gouvernement, des médias pour que les gens portent attention [à la crise climatique]. »

Selon lui, beaucoup de gens sont conscients de la gravité de la situation, « mais, quand on regarde autour de soi, ça ne paraît pas du tout, tout continue comme si de rien n'était ».

Il rappelle les conclusions du plus récent rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui affirmait en octobre que l'humanité doit réduire de 45 % ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2030 pour limiter le réchauffement de la Terre à 1,5 °C.

Quelques actions du mouvement Extinction Rebellion

17 novembre 2018, Londres, Grande-Bretagne

Des milliers de personnes bloquent cinq des principaux ponts de la capitale britannique.

PHOTO TOLGA AKMEN, AFP

21 décembre 2018, Royaume-Uni et Allemagne

Des centaines de manifestants se sont installés devant des bureaux de la radiotélévision britannique BBC, forçant même le confinement du quartier général de Londres, pour réclamer que le média public consacre davantage de temps d'antenne à la crise climatique.

25 janvier 2019, Édimbourg, Écosse

Une quarantaine de militants ont occupé pendant une heure le parlement écossais après y être entrés en se faisant passer pour des touristes.

PHOTO SIMON DAWSON, REUTERS

9 mars 2019, Londres, Grande-Bretagne

Des centaines de personnes ont déversé du faux sang, à base d'eau et de colorant, devant la résidence de la première ministre Theresa May.

PHOTO HENRY NICHOLLS, REUTERS