Les pêcheurs des Maritimes ont profité des changements climatiques depuis les années 30. Des poissons qui vivaient plus au sud s'y sont établis. Mais dans le monde, le portrait est moins rose.

Migration

Tous les pêcheurs ne naissent pas égaux. De manière générale, le réchauffement des océans n'est pas bon pour le poisson. Mais les pêcheurs de l'Atlantique Nord au Canada et aux États-Unis sont parmi les rares à bénéficier des changements climatiques jusqu'à maintenant, selon une analyse publiée fin février dans la revue Science.

« Les stocks de poissons des tropiques ont périclité et vont continuer à souffrir du réchauffement des eaux, mais plus on s'approche des pôles, plus les espèces locales bénéficient du réchauffement et plus on voit de nouvelles espèces apparaître », explique l'auteur principal de l'étude, Chris Free, de l'Université de Californie à Santa Barbara. « Mais il n'y a eu d'augmentation que dans les provinces atlantiques [du Canada] et la Nouvelle-Angleterre. Tout indique que la situation va continuer à s'améliorer dans les prochaines décennies. »

Daniel Pauly, chercheur de l'Université de Colombie-Britannique qui a souvent sonné l'alerte à la surpêche, a indiqué à La Presse que des espèces de requins et les populations de bar rayé avaient bénéficié du réchauffement des eaux du golfe du Saint-Laurent. Les chercheurs californiens ont analysé les données relatives à la « biomasse » plutôt qu'aux prises, rassemblant des statistiques sur 80 ans pour 235 populations de 125 espèces, dont deux (le flétan et la morue) dans le golfe du Saint-Laurent, qui fait partie de la région des eaux de Terre-Neuve et du Labrador, la plus favorisée, selon l'étude de Science.

Acidification

Les auteurs préviennent que d'autres facteurs joueront un rôle. « Il y a notamment l'acidification des mers, qui compromet la formation des carapaces des crustacés et a un impact mal connu sur les poissons, dit M. Free. Il faut aussi étudier l'impact des eaux plus chaudes et plus acides sur le plancton dont se nourrissent de nombreux poissons. » L'étude note que les variations des populations de poissons compliquent la gestion des pêches. « Il faut faire encore plus attention qu'avant pour éviter qu'une surpêche sur une population ne provoque l'effondrement des stocks. »

Aquaculture

L'autre grande inconnue est l'aquaculture, qui représente maintenant la moitié de la valeur des pêches. « Normalement, les eaux plus chaudes contiennent moins d'oxygène, ce qui est moins bon pour les saumons d'aquaculture », explique Boris Worm, un biologiste de l'Université Dalhousie, à Halifax, qui a aussi travaillé sur la surpêche, mais en est arrivé à des conclusions plus rassurantes que celles de Daniel Pauly. « D'un autre côté, les saumons d'élevage sont moins stressés, alors ils peuvent tolérer des températures plus chaudes. De toute façon, au Canada le problème est encore l'intrusion de courants froids, alors la situation devrait s'améliorer pendant encore un certain temps. »

Substitution

Les poissons peuvent migrer, mais les pêcheurs ne sont pas sans ressources. Dans le golfe du Saint-Laurent, par exemple, l'effondrement de la pêche à la morue dans les années 90 n'a pas causé de catastrophe, car les pêcheurs se sont tournés vers le homard et le crabe, plus lucratifs. « Ce sera vraiment crucial, surtout dans les tropiques, qu'on aide les pêcheurs à trouver de nouvelles proies, de nouveaux marchés, notamment l'aquaculture », dit M. Free. Cela est d'autant plus important, selon Daniel Pauly, qu'à l'augmentation des stocks dans les eaux canadiennes va finir par succéder une diminution. « Les pêcheurs de homard du Maine et du golfe ont de bons rendements, contrairement à ceux du Rhode Island, mais à terme, le homard ira encore plus au nord, dit M. Pauly. L'avenir est aux pêcheurs flexibles. »