C'est un choix chimérique ou désespéré, en tout cas titanesque: à 4 700 m dans les Andes du Sud péruvien, une poignée d'hommes en bleus de travail badigeonnent de blanc une immensité rocheuse. Leur objectif: freiner la fonte des glaciers, rien de moins.

Pour le ministre de l'Environnement péruvien c'est tout bonnement une «bêtise». Pour la Banque mondiale (BM) qui finance à hauteur de 200 000 dollars, c'est au moins une idée à explorer. Et Eduardo Gold, l'inventeur derrière la folle croisade, s'est déjà mis au travail.

Le principe scientifique est connu, et indiscuté: le blanc réfléchit, au lieu d'absorber, les radiations du soleil, et ce faisant évite autour de lui l'échauffement que génèrerait une surface plus sombre -en l'occurence les roches sur les flancs du glacier Chalon Sombrero.

«De fait, cela créée comme un micro-climat, et on peut dire que le froid génère alors plus de froid, comme la chaleur génère davantage de chaleur», explique Gold.

L'idée de la teinture blanche comme outil de «géo-ingénierie» pour lutter contre le réchauffement climatique n'a rien d'hérétique.

Des autorités comme Steven Chu, secrétaire américain à l'Énergie et Prix Nobel de Physique, ont exprimé leur espoir dans ce type d'alternative, via des campagnes de toits blancs (New York) ou des routes de couleur pâle.

Mais peindre les Andes, et leurs 3 000 km rien qu'au Pérou?

«J'ai bon espoir qu'on puisse arriver à regénérer un glacier ici, en récréant les conditions climatiques à sa reformation», insiste Gold, qui au moins a convaincu localement.

Les quatres hommes qui s'activent, déversant le contenu de grandes jarres de chaux sans adjuvant chimique, sont du proche village de Licapa, où l'on sait la valeur du glacier.

À 65 ans, Pablo Parco Palomino a vu le Chalon Sombrero se muer en 40 ans en un pic rocheux, mais croit en sa renaissance.

«On aurait alors autant d'eau qu'autrefois avant la disparition du glacier, donc davantage de pâturage» pour les alpagas, dont la laine est seule source de revenus, ici à plus de 4 000 m où aucune culture ne pousse.

Faute de quoi, les 900 habitants de Licapa devront partir, estime-t-il.

Deux hectares en 15 jours, une vingtaine à «blanchir» sur le Chalon Sombrero, 70 au total sur les trois sommets du projet de Gold primé fin 2009 par la BM parmi «100 idées pour sauver la planète».

L'idée a été snobée par les autorités, le ministre de l'Environnement Antonio Brack grommelant que 200 000 dollars eurent été mieux utilisés «sur des projets avec un impact supérieur sur le changement climatique».

Et la communauté scientifique, dont Gold n'est pas issu -il est à la base un ingénieur, passionné de glaciers- observe avec un intérêt dosé de scepticisme.

«Effectivement, à l'échelle locale, cela doit pouvoir influer, ralentir un peu la fonte, gagner quelques dixièmes de degré, qui sait 1 ou 2 degrés», convient Thomas Condom, glaciologue à l'Institut de Recherche pour le développement de Lima, vigie privilégiée de glaciers tropicaux en rapide recul depuis 30 ans.

«Mais l'effet restera forcément local. D'une part parce qu'il est très difficile de faire cela à très grande échelle».

«D'autre part parce que la température n'est qu'une des variables agissant sur la masse d'un glacier: il y a aussi la quantité de précipipations qui fait qu'un glacier accumulera beaucoup, ou peu de neige», ajoute-t-il.

Gold n'en a cure, et même s'il attend encore les fonds de la BM, il avance. «Je préfère tester une solution et échouer, que d'essayer d'imaginer comment vivre sans les glaciers, comme si la situation était irréversible».

Et sur le Chalon Sombrero, des champs de rochers blanchissent à vue d'oeil.