Dans le coin droit, des scientifiques étudiant le réchauffement climatique. Dans le coin gauche, des «climatosceptiques» dont l'ancien ministre français Claude Allègre. Les premiers reprochent aux seconds de se mêler d'un débat qui devrait se faire entre scientifiques, et demandent à l'État d'intervenir. Une initiative qui soulève la controverse en France, rapporte notre correspondant.

L'État peut-il se poser en arbitre d'un différend opposant des chercheurs qui se querellent sur les causes du réchauffement climatique? La question est posée en France, où plusieurs centaines de scientifiques travaillant sur le sujet se sont récemment associés pour adresser au gouvernement et aux principales organisations de recherche qui les emploient une lettre ouverte dénonçant les excès des «climato-scientifiques».

 

Les auteurs de la lettre, initiée par Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue de 39 ans, soulignent qu'ils en ont soupé de voir leur intégrité mise en doute par une poignée de critiques outrepassant le «filtre standard des publications scientifiques».

Les accusations publiques entendues «sortent des cadres déontologiques et scientifiques au sein desquels nous devons demeurer» et méritent «une réaction de votre part et l'expression publique de votre confiance», soulignent-ils.

Les responsables de l'initiative s'en prennent tout particulièrement à l'ex-ministre Claude Allègre, qui a récemment publié un ouvrage, L'imposture climatique, contestant le large consensus existant sur les causes du réchauffement.

Selon les chercheurs, ses textes sont ponctués de sorties «dénigrantes» à leur égard qui reposent sur une longue série d'affirmations «non étayées, d'erreurs, de confusions.»

La ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, qui figure parmi les officiels interpellés par les chercheurs, a rapidement réagi en soulignant que «les travaux, les conclusions et les méthodes des climatologues français font depuis des années l'objet d'une indiscutable reconnaissance de la part de la communauté scientifique nationale et internationale».

Elle a précisé, du même souffle, qu'il ne «revient pas aux responsables politiques mais à la communauté scientifique elle-même de trancher des différends de nature scientifique».

Initiative «masochiste» ?

Dans les pages du quotidien Libération, le philosophe Jean-Marc Lévy Leblond souligne qu'il est «masochiste» d'en appeler «au pouvoir politique pour intervenir dans un tel débat».

L'initiative, écrit-il, constitue une «brèche sans précédent» dans la défense de l'autonomie intellectuelle du milieu scientifique et risque de conférer aux «climatosceptiques» «l'aura d'un Galilée injustement persécuté par les institutions de son temps».

En entrevue, Mme Masson-Delmotte souligne qu'il n'a jamais été question de demander à la ministre, ou à qui que ce soit, de trancher sur le plan scientifique, mais plutôt de favoriser la tenue d'un débat sain et rigoureux. «La ministre l'a très bien compris», dit-elle.

«Nous nous sommes simplement retournés vers nos employeurs pour qu'ils défendent notre intégrité face à des accusations fausses et gratuites... Aucun d'entre eux n'avait réagi jusque-là», souligne la chercheuse.

Les organisations environnementales voient généralement d'un bon oeil la sortie des chercheurs envers les «climatosceptiques».

Propos politiques

La section française de Greenpeace dit comprendre que les auteurs de la lettre ouverte aient voulu exprimer leur «ras-le-bol» face aux attaques répétées de Claude Allègre, qui demeure, au dire de l'organisation, profondément isolé sur le plan scientifique.

Les médias, souligne une porte-parole, ont amplement critiqué ses travaux, ce qui ne l'empêche pas de continuer de bénéficier d'une large tribune.

Ne perdant rien de sa superbe, le principal intéressé continue de marteler son scepticisme sur les causes du réchauffement climatique sur toutes les tribunes qui lui sont offertes.

La lettre ouverte des chercheurs, a-t-il déclaré au quotidien Libération, est «nulle et stupide» et émane de personnes qui craignent de «perdre leur job» après avoir «gaspillé beaucoup d'argent public».

Un ton que déplore Mme Masson-Delmotte. «Il se sent obligé de détruire les climatologues pour faire valoir son point de vue, qui est au moins à 50% de nature politique», souligne la chercheuse.