Le principe est simple en théorie, mais le débat divise: pour survivre au réchauffement climatique, il suffit d'investir des milliards de dollars pour enfouir le dioxyde de carbone (CO2) dans le sol.

La pratique s'appelle le captage et stockage de CO2 (CSC). Et à eux deux, le gouvernement canadien et celui de l'Alberta consacrent 3 milliards de dollars à ce qui est dans les faits une sorte de liposuccion environnementale pour une génération de consommateurs qui ne parviennent pas, ou qui ne veulent pas, cesser de gaspiller des combustibles fossiles.

«Ce n'est pas une solution magique», indique Chuck Szmurlo, vice-président du distributeur énergétique Enbridge, à Calgary, qui dirige un groupe qui se penche sur les solutions de captage de CO2 en Alberta.

«Mais la capture et l'emprisonnement de dioxyde de carbone, selon nous, a un rôle très important à jouer en nous permettant de continuer d'avoir accès à nos ressources énergétiques d'une façon qui soit conforme à nos cibles environnementales», a-t-il ajouté.

Le CSC capte les émissions de gaz à effet de serre (GES) à leur source (dans le cas, par exemple, d'émissions provenant des centrales thermiques alimentées au charbon), en extrait le dioxyde de carbone, le liquéfie et l'enfouit à jamais dans les profondeurs sous-terraines.

Les promoteurs de la technique affirment qu'elle doit être utilisée parce que, même si les pays développés adoptaient en masse des sources d'énergie renouvelables - comme l'énergie solaire, éolienne ou de la biomasse -, cela ne ferait pas un brin de différence, puisque les puissances en devenir, comme l'Inde et la Chine, continuent d'approvisionner leurs moteurs économiques avec le charbon.

Et tout le monde pourrait profiter de cette technologie, tant les pays développés que ceux en voie de développement, plaident en outre ses partisans. L'Agence internationale de l'énergie affirme, quant à elle, que le CSC pourrait réduire les émissions de CO2 des centrales de plus de 85 pour cent.

Mais en revanche, les opposants, comme Greenpeace, grincent des dents. Pourquoi, demandent-ils, est-ce que de toutes les technologies disponibles dans tous les laboratoires du monde entier, les leaders de la planète ne misent-ils pas sur le solaire et l'éolienne, plutôt que sur une technologie qui ne sert seulement qu'à soutenir la vieille industrie polluante du charbon?

«Nous devons choisir notre avenir. Voulons-nous un avenir d'énergie verte ou voulons-nous un avenir d'énergie noire?», questionne Emily Rochon, de Greenpeace, en entrevue depuis Bruxelles, en Belgique, où elle patrouille sans relâche les couloirs et les bureaux, en tentant d'influencer les fonctionnaires de l'Union européenne afin qu'ils délaissent le charbon.

«Le CSC ne nous y mène pas. Il garde en place les infrastructures d'énergie fossile et hisse ce type d'énergie au haut de l'agenda énergétique, fait-elle valoir. Nous n'avons jamais donné à l'énergie renouvelable la chance qu'elle mérite, alors elle n'a jamais pu prendre son envol.»

Au Canada, le gouvernement du premier ministre Stephen Harper a réservé une somme de 1 milliard $ aux technologies d'énergie propre, dont une bonne part est attribuée au CSC, afin d'aider à réduire les émissions de GES de 20 pour cent d'ici 2020, par rapport à leur niveau de 2006.

Sept projets ont déjà reçu un financement de départ, mais ils n'ont toutefois pas tous garanti qu'ils iraient de l'avant.

La Saskatchewan accueille déjà du carbone dans ses terres. Et l'Alberta a réservé une enveloppe de 2 milliards pour des projets pilotes de CSC, qui devraient être annoncés plus tard cet été.

Du côté de la Colombie-Britannique, la compagnie Spectra Energy Transmission étudie présentement un programme pour emprisonner du dioxyde de carbone provenant d'une usine de traitement du gaz naturel de Fort Nelson, dans le nord-est de la province.

Aux États-Unis, le budget pour l'année 2010 du président Barack Obama prévoit une enveloppe de 3,4 milliards $ pour les technologies de CSC, avec des projets pilotes qui sont déjà en cours ou prévus dans les États du Michigan, de l'Illinois, de l'Utah, du Texas, de l'Alabama, de la Californie et du Kentucky, entre autres.

Mais il est essentiel de réduire les coûts de cette technologie. Les projets et les frais vont probablement augmenter pour atteindre des millions et des milliards de dollars.

«Je crois qu'en bout de ligne, si les gens sont sérieux quant à cette technologie, cela va devenir très dispendieux», estime Jim Childress, du Gasification Technologies Council américain, qui représente 70 compagnies oeuvrant dans l'industrie. «Et nos autorités publiques n'en parlent à personne», souligne-t-il.

Greenpeace estime pour sa part qu'il n'y a tout simplement pas assez de temps pour réduire suffisamment les GES afin d'atteindre d'ici le milieu du siècle les importantes réductions d'émissions qui sont nécessaires pour éviter la hausse catastrophique de la température du globe qui est anticipée.

«Il n'y a pas une seule centrale thermique alimentée au charbon dans le monde qui capte et enfouisse ses émissions, en ce moment», a noté Emily Rochon.

«Le CSC est un concept tellement mal compris qu'il s'écroulera sous son propre poids», prédit l'activiste de Greenpeace.

Il existe également plusieurs questions d'ordre juridique et de règlementation, qui ne sont toujours pas réglées.

- Qui aura, à long terme, la responsabilité de possibles fuites?

- Si la responsabilité à long terme passe des mains du privé aux mains de l'État, ce serait quand et sous quelles conditions?

- Quelles sont les règles lorsque l'on transporte du CO2 au-delà des frontières internationales?

- Et de quelle façon le stockage de CO2 sera-t-il pris en compte dans les projets d'échange d'émissions?

Qu'on le veuille ou non, le CSC est une solution imparfaite pour un monde imparfait, conclut M. Childress.

«Vous ne pouvez pas dire, objectivement, que les énergies solaire, éolienne et de la biomasse vont donner une contribution qui soit assez importante pour atteindre ce que Greenpeace souhaiterait, c'est-à-dire qu'il n'y ait plus aucune usine de charbon», dit-il.