Planté dans la neige, incongru sous ces latitudes quasi-polaires, le train qui extirpait jadis le charbon de la montagne vient rappeler aux chercheurs de Ny-Aalesund, communauté scientifique du fin fond de l'Arctique, la source des maux de la planète.

Clin d'oeil de l'Histoire, avant de devenir un centre international de recherche unique au monde, ce pâté de bâtiments colorés dans le nord-ouest de l'archipel norvégien du Svalbard (Spitzberg) était un filon d'énergies fossiles aujourd'hui accusées d'être responsables du changement climatique.

C'est à un coup de grisou qui coûta la vie à 21 mineurs en 1962, que l'on doit la mutation. L'accident signa la fin de l'exploitation minière sur ce site plus proche du pôle Nord, distant de seulement 1.200 km, que d'Oslo, où il provoqua le chute du gouvernement.

Les blouses blanches ont depuis remplacé les «gueules noires». Le village de Ny-Aalesund dispose maintenant d'une bande passante pour internet «plus large que celle de Londres», assure Kings Bay, la société qui gère le site.

La téléphonie mobile n'est en revanche pas arrivée jusqu'ici et le visiteur est prié d'éteindre son portable à l'arrivée pour ne pas perturber les instruments de mesures.

«Pour mesurer les tendances, c'est bien d'être éloigné» des sources d'émission de dioxyde de carbone, explique le chercheur suédois Johan Ström, depuis la station de mesures atmosphériques Zeppelin qui surplombe Ny-Aalesund.

«Quand vous êtes en plein dedans, vous ne les voyez pas. Exactement comme quand vous êtes dans une forêt: vous voyez quelques arbres mais vous ne voyez pas la forêt entière», ajoute-t-il.

Grâce au jeu des courants atmosphériques, la station Zeppelin, à laquelle on accède par un petit téléphérique au fonctionnement erratique, capte par exemple les fines particules émises par les feux de forêts en Amérique du Nord.

Sur les graphiques collés aux murs, les flèches pointent toutes vers le haut avec des hausses particulièrement prononcées pour les dernières décennies.

«Ce n'est pas le niveau élevé de CO2 dans l'atmosphère qui m'inquiète. Les hommes pourront toujours s'adapter et changer leur mode de vie. On n'ira plus en vacances aux Maldives. Mais c'est le rythme auquel ces concentrations s'accroissent qui est préoccupant», affirme M. Ström.

«Sur les 20 dernières années, on constate un bond des concentrations de CO2 dans l'atmosphère à une vitesse jamais observée auparavant», dit-il.

L'archipel du Svalbard est aux premières loges du réchauffement climatique. Chaque année, le volume de sa calotte glaciaire rétrécit de 13 km3, l'équivalent de 5,2 millions de piscines olympiques.

Les glaciers entourant Ny-Aalesund ne font pas exception.

«D'une année sur l'autre, j'observe leur recul à l'oeil nu», affirme M. Ström qui vient ici depuis 1999.

Pour Jack Kohler, glaciologue américain de l'Institut polaire norvégien, l'avenir est sombre.

«Dans 50 à 100 ans, ces glaciers ne seront plus que l'ombre d'eux-mêmes. Les plus grands seront toujours ici, mais pas les plus petits», déclare-t-il, en s'inquiétant de l'impact, selon lui, largement ignoré de la fonte des petits glaciers sur l'élévation du niveau des océans.

A la sortie du village, un pylône d'arrimage des dirigeables témoigne de la place particulière de Ny-Aalesund dans l'histoire des grandes expéditions polaires.

C'est d'ici notamment que partirent en 1926 le Norvégien Roald Amundsen, l'Italien Umberto Nobile et l'Américain Lincoln Ellsworth à bord du dirigeable Norge, pour devenir la première équipe à avoir rallié le pôle Nord avec certitude.

Mais, au rythme auquel la banquise s'amenuise aujourd'hui, le pôle sera bientôt plus facilement accessible par bateau.