Le dioxyde de carbone (CO2) n'est pas le seul gaz qui inquiète les spécialistes du climat. Car la concentration dans l'air de deux autres puissants gaz à effet de serre a augmenté de façon inattendue ces deux dernières années, selon des études scientifiques à paraître dans les prochaines semaines.

Si le CO2 reste le gaz plus préoccupant en raison de ses niveaux élevés et de sa progression rapide, le méthane a un effet de serre plus de vingt fois plus fort, et le trifluorure d'azote (NF3) possède un pouvoir réchauffant des milliers de fois plus important que le dioxyde de carbone dégagé par la combustion du charbon, du pétrole et autres carburants fossiles. Et ces deux gaz ne sont pas pris en compte dans les prévisions de changement climatique. Le méthane émis par les décharges, l'exploitation des mines de charbon et du gaz naturel ainsi que les activités agricoles a un impact environ trois fois moins important sur le réchauffement climatique que le CO2 d'origine humaine. Mais les scientifiques se soucient surtout des milliards de tonnes de méthane issu de la décomposition des plantes et piégé depuis des milliers d'années dans le sous-sol gelé (permafrost) de l'Arctique.

Avec la fonte du permafrost, le gaz pourrait s'échapper et aggraver le réchauffement climatique. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives des données relevées, mais les spécialistes craignent d'être en train d'assister au début de la libération du méthane de l'Arctique.

D'après une étude à paraître le 31 octobre dans la revue «Geophysical Research Letters», les niveaux atmosphériques de méthane mesurés toutes les 40 minutes par des moniteurs dans cette région ont soudain augmenté en 2006 après quasiment huit ans de stabilité. La quantité de méthane dans l'air a bondi de près de 25,4 millions de tonnes entre juin 2006 et octobre 2007 et on l'évalue actuellement à plus de 5,6 milliards de tonnes.

«Si cela dure, c'est une mauvaise nouvelle», explique Ron Prinn, spécialiste de l'atmosphère au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et principal auteur de l'étude. «C'est un signal d'alarme. Nous voyons la fumée, et il faut voir si c'est le feu que nous craignons tant. Quand le méthane progresse, le changement climatique s'accélère», ajoute-t-il.

Une étude scientifique publiée l'été dernier atteste de niveaux de méthane jusqu'à 10.000 fois la normale dans l'est de la mer de Sibérie, selon Orjan Gustafsson, de l'université de Stockholm. Il fait état de «véritables champs de bulles de méthane» dans l'océan Arctique.

Quant au trifluorure d'azote utilisé dans la fabrication des écrans de télévision et d'ordinateurs à cristaux liquides ou les panneaux solaires, il a longtemps été ignoré, car sa contribution à l'effet de serre ne représente que 0,04% de celle du CO2 issu de la combustion des carburants fossiles.

Mais sa présence dans l'air a été extraordinairement sous-estimée, estime Ray Weiss, professeur de géochimie à la Scripps Institution of Oceanography de Californie et principal auteur d'un article sur le NF3 à paraître en novembre dans le «Geophysical Research Letters». Or les niveaux de trifluorure d'azote dans l'air, mesurés en parties par trillion (1 trillion égale 1 000 milliards), ont quadruplé depuis dix ans et se sont multipliés par 30 depuis 1978, selon Ray Weiss, également co-auteur de l'article sur le méthane.

Stephen Schneider, chercheur en environnement à l'université de Stanford, souligne cependant que le phénomène est récent et qu'il est donc «plutôt difficile de nourrir des certitudes sur une quelconque tendance» en ce qui concerne le méthane. Les scientifiques l'ont en effet vu progresser jusqu'en 1997 environ, puis reculer en 1998, et se stabiliser avant de remonter en 2006.