Comme tous les pays des Caraïbes, Haïti est menacé chaque année par les cyclones. Toutefois, les ouragans y font immanquablement plus de morts qu'ailleurs. Pourquoi? La pluie et le vent ne sont pas les seuls à blâmer. Un vieux problème environnemental pèse lourd dans la balance.

Selon les experts en environnement, le déboisement du pays le plus pauvre des Amériques explique en grande partie l'ampleur de la dévastation causée par les tempêtes tropicales.La tempête Jeanne, qui a fait 3000 morts en 2004, l'a dramatiquement prouvé. Depuis cette catastrophe la plus mortelle qu'Haïti ait connue, la situation ne s'est pas améliorée.

Selon un récent rapport gouvernemental, 98,5 % du pays était déboisé au début de 2008, laissant à la merci du vent la plupart des villes et des villages. Les eaux de pluie se transforment en torrents dévastateurs qui emportent tout sur leur passage.

Résultat: la plus récente tempête tropicale, Hanna, même si elle n'avait pas la force d'un ouragan, a fauché au moins 136 vies et causé l'inondation de neuf des 10 départements du pays. Un bilan provisoire fait aussi état de cinq disparus, de sept blessés et de plus de 3000 familles sinistrées.

La responsable de la protection civile, Alta Jean-Baptiste, a relevé que près de 10 000 personnes sont hébergées dans des abris provisoires, sans compter les dizaines de milliers de personnes évacuées de la ville des Gonaïves, complètement inondée.

Haïti, encore partiellement sous les eaux, redoute désormais l'arrivée du puissant ouragan Ike, de catégorie 4 à l'échelle de Saffir-Simpson, qui compte cinq degrés.

Depuis la colonisation

Le déboisement d'Haïti n'a pas commencé hier. Les pratiques remontent au XVIe siècle. Les colons français ont détruit des milliers d'hectares de forêt vierge pour y planter de la canne à sucre, du coton et du café. Mais selon l'agro-économiste et géographe Roger Michel, la plus grave atteinte à l'écosystème a été observée sous l'occupation américaine, de 1915 à 1934. Pendant cette période, la couverture forestière est passée de 60 % à 21 %.

Depuis, le massacre des arbres se poursuit, notamment parce que 90 % de la population utilise le charbon de bois pour la cuisson alimentaire et qu'aucune solution de rechange n'a été mise en place par les gouvernements qui se sont succédé depuis 1986.

Selon le ministre de l'Environnement Jean-Claude Germain, joint hier, la situation risque de s'aggraver: «Avec les changements climatiques, les pluies décennales qui menaçaient Haïti vont désormais devenir annuelles.»

Pour remédier aux effets dévastateurs du déboisement, estime le ministre, le territoire haïtien, composé de 80 % de montagnes et de 20 % de plaines, nécessitera des débours de plus en plus importants. Si la population haïtienne est davantage conscientisée par la question environnementale, M. Germain reconnaît toutefois qu'«en matière d'approche et de budget, il y a toujours un grand déficit chez les décideurs politiques».

Échecs environnementaux

Les politiciens haïtiens ne sont pas les seuls à mettre à l'écart la question du reboisement. Le représentant du programme des Nations unies pour le développement en Haïti, Joël Boutroue, note que depuis la chute de la dictature des Duvalier, en 1986, les grandes agences de développement ont mis l'accent sur le renforcement de la démocratie et la gouvernance.

Selon lui, ces organismes se sont toujours montrés «frileux et prudents» par rapport à la question environnementale. «Haïti est un cimetière de projets lorsqu'on parle de l'environnement. Il y a eu tellement d'échecs. Il n'y a jamais eu d'approche holistique du problème environnemental», a-t-il dit à La Presse lors d'une entrevue téléphonique.

Quelques efforts ont néanmoins été déployés. Cette année, le budget du ministère de l'Environnement est passé de un à quatre millions de dollars américains, mais on est bien loin du compte. À titre d'exemple, le reboisement des montagnes qui ceinturent la ville des Gonaïves, la plus touchée par la tempête tropicale Hanna, nécessiterait de 50 à 100 millions, selon M. Boutroue. Les donateurs internationaux se sont engagés à verser plus de 130 millions pour les deux prochaines années, mais pour le moment, il ne s'agit que de promesses.