À deux mois de l'adoption de normes revues à la baisse par l'administration Trump au sujet des émissions polluantes des voitures, une bataille se dessine entre Washington et la Californie, qui veut conserver son pouvoir d'adopter sa propre législation en la matière. Et le Canada est pris entre les deux.

Les normes antipollution pour les voitures doivent demeurer les mêmes au Canada qu'aux États-Unis, plaide le secteur canadien de l'automobile, qui exhorte Ottawa à ne pas faire cavalier seul alors que Washington réduit ses ambitions en la matière.

« Cela créerait un enjeu d'affaires pour l'industrie automobile », a affirmé à La Presse Flavio Volpe, président de l'Association des fabricants de pièces automobiles du Canada (APMA).

« D'un point de vue commercial, c'est très difficile de construire selon deux normes différentes, explique-t-il, en particulier si la norme la plus élevée ne concerne qu'un dixième du marché. »

Le président Donald Trump a annoncé l'été dernier la suspension des normes antipollution mises en place par son prédécesseur Barack Obama, qui prévoyait de réduire la consommation d'essence des véhicules à 4,32 L aux 100 km en 2025.

Washington propose désormais de ne pas descendre en deçà d'une consommation moyenne de 6,4 L aux 100 km, qui sera atteinte en 2020, et veut aussi retirer à la Californie le droit d'adopter ses propres normes.

L'État progressiste de la côte Ouest jouit de ce droit puisqu'il disposait d'une réglementation sur les émissions de GES des véhicules avant que Washington n'adopte des normes fédérales, et le gouverneur de la Californie, Jerry Brown, a promis de se battre pour conserver cet acquis.

Suivre la Californie

« Si la Californie gagne, le Canada devrait se conformer aux normes les plus élevées », plaide Flavio Volpe, en rappelant que 13 autres États ainsi que le District de Columbia ont manifesté leur intention de suivre les règles californiennes.

Le président et directeur général de l'organisation Constructeurs mondiaux d'automobiles du Canada, qui représente des constructeurs asiatiques et européens, se garde de dire quelles normes le Canada devrait suivre, mais il exhorte lui aussi Ottawa à éviter d'adopter ses propres règles.

Avoir des normes différentes dans un même marché donne toujours un résultat « compliqué », affirme Dave Adams, en expliquant que plus les règles sont universelles, plus ce marché est profitable.

L'industrie automobile s'attend à ce que les règles définitives préparées par l'agence de protection de l'environnement (EPA) et l'agence de la sécurité routière (NHTSA) soient connues au printemps.

Le gouvernement canadien n'a pas encore annoncé ses couleurs et mène actuellement des consultations sur le sujet, tout en suivant le « processus des États-Unis et [les] actions d'États comme la Californie », a indiqué dans un courriel à La Presse Caroline Thériault, directrice des communications de la ministre de l'Environnement et du Changement climatique, Catherine McKenna.

Objectif zéro émissions

« Nous devons aller vers [des véhicules] zéro émissions », affirme sans ambages Dave Adams, pour qui « le vrai défi de la transition, c'est de déterminer à quelle vitesse nous pouvons la faire ».

Selon lui, les gouvernements devraient « établir une cible » pour y parvenir plutôt que de retourner en arrière.

« Les affaires n'aiment pas l'incertitude. »

- Dave Adams, président et directeur général de l'organisation Constructeurs mondiaux d'automobiles du Canada

Flavio Volpe abonde dans le même sens : « Les règles de l'administration Obama ont été coûteuses, mais à tout le moins, elles permettaient de prévoir. »

Une enquête du New York Times a d'ailleurs révélé à la mi-décembre que c'est l'industrie pétrolière qui a pesé de tout son poids pour inciter l'administration Trump à revoir à la baisse les normes antipollution des voitures, et non l'industrie automobile, pour laquelle la révision « allait trop loin ».

Trudeau c. Trump

Les défenseurs de l'environnement consultés par La Presse sont également d'avis qu'une double réglementation n'est pas souhaitable.

« L'espoir, maintenant, c'est vraiment que la Californie continue à être l'exemple en Amérique du Nord » et que le Canada suive sa réglementation, affirme le président de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), André Bélisle.

Le premier ministre Justin Trudeau devrait même « s'opposer » au président Donald Trump, croit Patrick Bonin, responsable de la campagne climat-énergie à Greenpeace Canada.

« C'est un des rares dossiers où le Canada peut avoir une influence sur ce qui se passe aux États-Unis, en s'alliant aux États plus progressistes pour faire pencher la balance chez les constructeurs », dit-il.

Il rappelle que les 13 États qui ont annoncé leur intention d'adopter la réglementation californienne, dont celui de New York, ainsi que le District de Columbia, le Canada et la Californie représentent ensemble quelque 41 % du marché automobile canado-étatsunien des véhicules légers.