Oublions le pétrole et brûlons... du fer. L'idée ne convainc pas tout le monde, mais c'est celle que lancent des chercheurs de l'Université McGill pour sauver l'environnement. Demain, une fusée devrait décoller de Kiruna, dans le nord de la Suède, pour mener une expérience dans l'espace afin de mieux comprendre cette combustion. La Presse a joint un membre de l'équipe en plein cercle polaire pour comprendre les manoeuvres.

3, 2, 1... décollage !

La fusée MAXUS 9 s'élèvera dans un fracas de fumée. Elle culminera à plus de 700 km d'altitude, deux fois celle de la Station spatiale internationale. Puis, à l'intérieur de la fusée, un appareil robotisé mettra le feu à un échantillon de poudre de fer. Dans la base de l'Agence spatiale européenne de Kiruna, en Laponie suédoise, Jan Palecka et ses collègues suivront les opérations avec attention.

« Si le test dévie ou qu'il y a un problème, on est quand même capables d'intervenir à distance », explique le doctorant de l'Université McGill. La fusée devrait ensuite atterrir dans la toundra grâce à des parachutes. Si tout se passe comme prévu, l'équipe de McGill pourra alors récupérer son appareil et les précieuses données enregistrées pendant l'expérience.

Une flamme qui saute

Si les chercheurs se donnent tant de mal pour aller faire brûler du fer dans l'espace, c'est que leurs calculs montrent que la flamme pourrait s'y propager d'une façon qui n'a encore jamais été observée.

« Une flamme se propage habituellement comme une vague, explique Jan Palecka. Mais dans certaines conditions, on croit qu'elle peut sauter de particule en particule. »

Pour que ce régime survienne, il faut cependant que les particules soient parfaitement dispersées. « Sur Terre, dès qu'on disperse les particules, la pesanteur les fait rapidement descendre », explique Jan Palecka. L'autre problème est qu'avec la gravité, les gaz produits par la combustion interagissent avec la flamme et perturbent l'expérience.

« Nous avons besoin de l'apesanteur pour prouver qu'il s'agit d'une façon dont les particules peuvent brûler », résume M. Palecka.

Du fer dans le moteur

L'expérience qui sera menée dans l'espace relève de la recherche fondamentale. Mais elle permettra de mieux comprendre la combustion de la poudre de fer, un domaine qui pourrait avoir des applications bien concrètes. Les chercheurs de McGill rêvent en effet de faire des poudres métalliques les carburants écologiques de demain.

« Les poudres métalliques contiennent presque autant d'énergie par kilo que le pétrole, mais plus d'énergie par volume », explique Jan Palecka. Le grand avantage est que la combustion de la poudre de fer produit non pas des gaz à effet de serre, mais bien... de la rouille (de l'oxyde de fer).

Si la poudre de fer devient un carburant, les chercheurs estiment qu'on pourrait récupérer la rouille produite, séparer l'oxygène et le fer dont elle est formée grâce à des processus fonctionnant à l'énergie renouvelable, puis réutiliser le fer comme carburant

« On aurait ainsi un cycle fermé, non polluant », explique Jan Palecka.

Combustion externe

N'allez toutefois pas remplir votre réservoir d'essence de poudre de fer. À cause des particules solides, la combustion de poudres métalliques ne pourrait se faire dans un moteur à combustion interne comme celui de nos voitures. Les chercheurs de McGill, notamment grâce aux efforts du professeur Jeffrey Bergthorson, ont conçu sur papier un moteur à combustion externe qui convertirait la chaleur produite en énergie mécanique. Actuellement, ce type de moteur est légèrement moins efficace qu'un moteur à combustion interne, mais les scientifiques ont espoir de l'améliorer. Jan Palecka souligne par ailleurs que la fusée qui conduira leur appareil dans l'espace demain sera en partie propulsée par la combustion de poudre d'aluminium.

Doutes

Pierre Langlois, physicien et auteur de livres et d'un blogue sur le transport électrique, doute que les poudres métalliques parviennent à s'imposer comme le carburant de l'avenir. « Les batteries électriques ont une telle avance et progressent si rapidement que le potentiel des poudres métalliques me semble limité », dit-il. Il souligne que la collecte et la transformation de l'oxyde de fer exigeraient de nouvelles infrastructures qui feraient augmenter les coûts d'une telle technologie. Jan Palecka convient que les voitures qui fonctionnent à la poudre de fer ne sont pas pour demain. « L'application parfaite, à plus court terme, ce sont les machines et les véhicules pour l'industrie minière, dit-il. Ce sont des machines qui demandent une puissance que les batteries électriques peinent à fournir, et dont les émissions de gaz à effet de serre peuvent être problématiques sous terre. »

Photo fournie par Jan Palecka

Le doctorant Jan Palecka devant la charge utile de la fusée, qui sera ensuite enfermée dans un cylindre presque deux fois plus gros.

Photo fournie par Jan Palecka

Installé à l'intérieur de la fusée, cet appareil expérimental servira à effectuer la combustion de l'échantillon de poudre de fer.