Après avoir envisagé de serrer la vis aux grands pollueurs, le gouvernement Couillard fait marche arrière. La nouvelle mouture du marché du carbone, qui sera présentée bientôt, prévoit que Québec continuera de distribuer gratuitement la grande majorité des droits d'émission aux industries, a appris La Presse.

À l'heure actuelle, les automobilistes paient un supplément d'environ quatre cents pour chaque litre d'essence qu'ils achètent. Car les distributeurs de carburant doivent couvrir la totalité de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) en achetant des droits de polluer sur le marché du carbone.

Les entreprises industrielles sont en partie exemptées de ce régime : elles se voient donner la grande majorité de leurs droits d'émission. Par cette stratégie, Québec veut éviter de les désavantager face à des concurrentes étrangères dont les émissions de carbone sont moins sévèrement réglementées.

Québec adoptera sous peu une nouvelle mouture du marché du carbone pour la période post-2020. Selon un scénario qui a été soumis à des groupes d'intérêt l'automne dernier, le gouvernement envisageait de réduire d'environ 5 % par an les émissions gratuites aux industries d'ici 2030.

Or, le ministère de l'Environnement a récemment confirmé aux participants que ce ne sera pas le cas. Trois sources indiquent que le scénario retenu par Québec prévoit une réduction beaucoup plus lente des allocations gratuites d'ici 2023 (voir tableau). Québec déterminera plus tard le rythme de réduction au-delà de cette date, apprend-on dans la présentation des fonctionnaires.

Les avis divergent face à ce régime à deux vitesses, qui continuera de s'appliquer dans les prochaines années.

Selon Patrick Bonin, porte-parole de Greenpeace, Québec accorde ni plus ni moins un « passe-droit » aux grands émetteurs de la province.

« C'est une forme de subvention à l'industrie. On leur donne le droit de polluer gratuitement alors que tous les contribuables vont devoir payer pour la pollution quand ils vont mettre de l'essence dans leur véhicule. »

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal, est d'avis contraire. Selon lui, la proposition initiale du gouvernement était « trop agressive » puisque Québec bouge déjà plus vite que ses voisins en matière de tarification du carbone.

« Ça ne sert à rien de faire du mal à nos industries, si ce n'est que pour aider leurs concurrents hors Québec qui ne sont pas soumis à des règles aussi sévères. »

Au sein de l'industrie, on fait valoir que plusieurs entreprises ont élaboré des processus d'efficacité énergétique ces dernières années, des programmes qui arrivent en « fin de cycle », a-t-on expliqué. Le répit du gouvernement permettra d'en développer de nouveaux.

« Ils donnent un break temporaire, mais ils vont rester inflexibles sur la période post-2023, a indiqué une source au fait des pourparlers. La pente va être raide. »

Le marché du carbone est la pièce maîtresse de Québec dans sa lutte contre les changements climatiques. Le gouvernement Couillard s'est fixé comme objectif de réduire d'ici 2030 les émissions de GES de la province de 37,5 % par rapport au niveau de 1990.

Les fonctionnaires qui ont participé aux discussions ont indiqué que Québec reste très ferme sur cet objectif, a-t-on indiqué.

Au bureau du ministre de l'Environnement, David Heurtel, on confirme que des consultations pour préciser la nouvelle mouture du marché du carbone ont eu lieu l'an dernier et qu'un projet de règlement sera rendu public cet été.

« À la suite des informations recueillies, le niveau d'allocation proposé pour la période post-2020 sera redéfini afin de maintenir l'effort de réduction des émetteurs industriels tout en préservant leur niveau de compétitivité », a indiqué l'attachée de presse du ministre, Émilie Simard.