C'est un monstre aquatique vert qui se nourrit de la pollution et qui se multiplie chaque fois qu'il est coupé par une hélice de bateau ou même un innocent coup de pagaie. Pour s'en débarrasser, des municipalités québécoises investissent en ce moment des centaines de milliers de dollars dans des technologies expérimentales dont l'efficacité est mise en doute par les scientifiques. Le nom de la bête : le myriophylle à épi.

« On se bat contre quelque chose qui est équipé pour survivre », dit le biologiste Sébastien Duchesne, dont l'organisme tente d'éradiquer la prolifération de cette plante exotique envahissante dans le lac à la Tortue, à Shawinigan. La solution retenue par la Ville pour lutter contre le myriophylle : installer 30 000 mètres carrés de tapis de jute - la toile des « poches de patates » - au fond du lac. 

Dans les Laurentides, au lac Quenouille, près de Val-des-Lacs, une centaine de propriétaires riverains s'apprêtent aussi à débourser près de 100 000 $ pour installer des kilomètres de jute au fond du lac.

« Il y a quatre ou cinq ans, il n'y avait qu'une centaine de tiges de myriophylle dans le lac. Aujourd'hui, on retrouve la plante sur une superficie de 50 000 mètres carrés. Ça se propage à une vitesse hallucinante. »

- Benoît Huet, président de l'Association des propriétaires du lac Quenouille

« Ça monte au nord. Et ce n'est que le début », affirme la directrice du Conseil québécois des espèces exotiques envahissantes, Hélène Godmaire, qui a étudié la prolifération de cette plante dans le fleuve Saint-Laurent il y a quelques années.

« Ça défait le décor et ça ne sent pas bon », commente la biologiste. La plante crée aussi un environnement parfait pour la prolifération des larves responsables de la dermatite du baigneur, une affection de la peau provoquant des démangeaisons et des plaques rouges.

INTRODUCTION ET PROLIFÉRATION

Arrivée d'Europe dans nos cours d'eau il y a une cinquantaine d'années, possiblement introduite par les eaux de ballast des navires transocéaniques, l'espèce envahissante s'implante très rapidement dans les lacs des Laurentides, de l'Outaouais et de l'Estrie en s'accrochant aux coques et aux remorques des petites embarcations que les plaisanciers déplacent d'un lac à l'autre. La plante crée des boutures lorsqu'elle est sectionnée, ce qui lui permet de proliférer à grande vitesse, et à terme de déloger les plantes aquatiques indigènes, créant de vastes plaques vertes à la surface des lacs.

Le ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques affirme que le myriophylle est présent dans toutes les régions du Québec, mais dit n'avoir aucune statistique à son sujet. Ses scientifiques ne s'entendent d'ailleurs pas sur la façon de combattre le myriophylle à épi.

Récemment, le Ministère a autorisé l'installation de deux aérateurs au lac Ludger, à Lantier, dans les Laurentides. Les deux machines, qui injectent de l'air dans les sédiments depuis une quinzaine de jours afin de les assainir, ont coûté 45 000 $ aux 840 résidants du village. Et pourtant, le Ministère affirme dans un avis que de tels aérateurs « ne sauraient être recommandés [...] pour contrer l'envahissement du lit des lacs par les macrophytes [plantes visibles à l'oeil nu] ». 

Mais c'est un peu à force de faire pression que le maire de Lantier, Richard Forget, a réussi à convaincre le Ministère de laisser sa ville essayer cette solution censée affamer les plantes en raréfiant les polluants dont elles se nourrissent dans les sédiments. « Ç'a été l'enfer. Ça a pris deux ans de démarches pour obtenir les autorisations », soutient-il. La Ville a notamment consenti à réaliser une étude scientifique afin d'établir si, oui ou non, les aérateurs étaient efficaces.

LA VALEUR DES MAISONS ÉCOPE

« Il a fallu qu'on se batte contre tout le monde, mais quand tu as un résidant qui a une maison de 2 millions au bord de l'eau qui te dit que le myriophylle fait baisser sa valeur marchande de 10 %, tu n'as pas le choix d'agir », dit le maire de la petite municipalité. 

C'est justement là une partie du problème, croit le biologiste de l'Université Laval Claude Lavoie, qui offre des formations sur le myriophylle à épi. « La clientèle touchée par le myriophylle est plus fortunée. Les gens qui habitent au bord de l'eau sont prêts à payer des sommes considérables pour éliminer la plante. Ça a fait apparaître beaucoup de vendeurs de solutions miracles et de gugusses technologiques », dit-il. 

Outre l'arrachage à la main par des plongeurs formés - une solution généralement très dispendieuse, qui doit être répétée tous les ans -, peu de solutions pour l'éliminer se sont révélées vraiment efficaces une fois qu'il s'est implanté.

« Quand le myriophylle prolifère, c'est généralement le symptôme d'un mal plus profond. Il s'étend particulièrement dans les lacs pollués. »

- Claude Lavoie, biologiste

« Le myriophylle à épi, c'est une sorte de pied de nez à la population. C'est une plante qui a un rôle biologique. Elle n'est pas là par hasard », renchérit le biologiste Benoît Courteau, dont l'entreprise ÉcoIndustrielle se spécialise dans la valorisation d'algues envahissantes en Afrique. « Tant que nous ne changerons pas notre mode de vie et notre mode d'agriculture, elle sera là, et il faudra apprendre à vivre avec », croit-il.