Les eaux ont disparu du grenier à blé de la Somalie et les enfants jouent désormais au soccer dans le lit asséché du fleuve Shabelle, mettant plus de trois millions de personnes en danger de malnutrition, selon l'ONU.

Les «anciens» des régions du Moyen et du Bas-Shabelle, où la population vit de l'agriculture, affirment n'avoir pas vu depuis des décennies une sécheresse aussi forte dans cette partie du pays en guerre civile où sévit la rébellion des shebab.

«Même en rêve, je ne me suis jamais vu marcher dans le lit du fleuve», explique Adow Amin, un habitant d'Afgoye, une ville proche de la capitale Mogadiscio et réputée pour sa production de bananes.

«Dans le secteur, plus rien n'est pareil», ajoute-t-il, rappelant qu'il avait l'habitude de traverser le fleuve en bateau.

En temps normal, le fleuve arrose sur un millier de kilomètres de nombreux champs qui produisent du maïs, des bananes, du sésame et d'autres fruits et légumes, et qui font vivre des milliers de familles.

Mais cette année, le phénomène météorologique El Niño, courant chaud équatorial du Pacifique qui réapparaît tous les cinq à sept ans, connaît une forte intensité. Il cause à la fois des sécheresses dans certaines zones du globe et de graves inondations dans d'autres.

L'Éthiopie, où le Shabelle prend sa source, subit ainsi sa pire sécheresse depuis 30 ans, avec 18 millions de personnes qui devraient avoir besoin d'aide alimentaire d'ici la fin de l'année, selon l'UNICEF.

«Tous les villages de la région ont besoin de l'eau du fleuve pour survivre, il y a très peu de puits et je ne pense pas que la vie soit possible sans le fleuve», dit Mohamed Idle, qui vit le long du Shabelle dans le district de Jowhar (sud).

Un cauchemar

«C'est un cauchemar, je n'aurais jamais pensé que le fleuve soit asséché», se lamente un autre habitant, Abdulahi Mursal, prédisant que «les gens vont bientôt commencer à partir».

«Nous ne savons pas ce qui va se passer, nous sommes désespérés,» renchérit Mohamed Nur, un fermier.

Mais les conséquences d'El Niño touchent tout le pays. Dans le nord, le Somaliland, bordé par le golfe d'Aden et le Puntland sont particulièrement touchés par la sécheresse. Selon l'ONU, 385 000 personnes ont un besoin urgent d'aide alimentaire, et le chiffre pourrait dépasser 1,5 million si rien n'est fait dans ces régions.

En janvier, les Nations unies ont averti que plus de 58 000 enfants étaient «menacés de mort» par la famine.

Ce constat alarmant rappelle la situation qui prévalait il y a quatre ans, lorsqu'une sécheresse de grande ampleur combinée à la guerre civile avait provoqué une famine faisant plus de 250 000 morts.

Mais fournir de l'aide humanitaire est un défi en Somalie où les troupes du gouvernement et de l'Union africaine (AIMOSM) sont toujours confrontées aux islamistes radicaux shebab qui contrôlent encore de nombreuses zones rurales.

«L'impact de la sécheresse dans le nord se fait déjà sentir dans le centre et le sud» du pays, a récemment indiqué l'ONU qui s'inquiète de «la détérioration rapide de la situation dans les régions de Belet Weyne et du Moyen-Shabelle en raison de la baisse rapide du niveau des eaux».

Les riverains du fleuve sont habitués aux caprices du fleuve, des épisodes d'inondations à la suite de pluies diluviennes, suivies de sécheresse quand le débit est minime. Mais jamais les eaux n'avaient été aussi basses.

«Nous sommes inquiets, car l'eau se fait très rare autour des villages et il faut marcher de longues distances pour trouver des puits», explique Ibrahim Adam. Cet habitant de Jowhar espère comme beaucoup d'autres le retour de l'eau avec la saison des pluies, censée débuter en avril.