Les audiences du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) sur l'oléoduc Énergie Est, qui s'ouvraient lundi soir à Lévis, ont été interrompues durant une quinzaine de minutes par des manifestants venus signifier leur opposition au projet.

Dans une salle remplie à pleine capacité, notamment par de nombreux opposants, quelques-uns d'entre eux ont déployé des bannières et chanté des chansons militantes dès que le vice-président de TransCanada et responsable du projet Énergie Est pour le Québec et le Nouveau-Brunswick, Louis Bergeron, a amorcé sa présentation.

Celui-ci a pu reprendre le fil de son discours lorsque les manifestants ont cessé leur manège.

La présentation a duré une vingtaine de minutes durant lesquelles M. Bergeron a livré une série de données techniques visant notamment à démontrer la sécurité d'un oléoduc et ses avantages face au transport par train.

La période de questions qui a suivi a été marquée par quelques réactions bruyantes, mais a quand même pu se dérouler dans l'ordre.

L'entreprise a été confrontée à quelques interrogations serrées des citoyens, dont la plupart représentaient des organismes et groupes directement touchés par le passage d'un éventuel oléoduc.

Louis Bergeron, qui avait affirmé dans sa présentation que le pipeline Keystone, en fonction depuis 2010, n'avait pas connu de fuites, a dû admettre à la suite d'une question précise, que la conduite n'avait jamais fui mais que des déversements étaient survenus dans des stations de pompage, bien qu'ils aient été minimes et contenus.

Une autre intervenante, notant que la structure corporative du projet fait d'Énergie Est une compagnie autonome, s'est demandé si l'entreprise TransCanada allait être tenue responsable advenant une catastrophe majeure dont les coûts dépasseraient les provisions et protections d'assurance d'Énergie Est, ou si la facture allait être refilée aux gouvernements et citoyens, mais M. Bergeron n'a pas été en mesure de répondre à cette question, promettant de livrer une réponse dans le cadre des audiences une fois qu'il l'aurait validée.

Dans la même veine, l'Office national de l'énergie, qui était également représenté aux audiences, a été incapable d'identifier qui serait responsable pour les coûts de démantèlement et de décontamination du pipeline à la fin de sa vie utile advenant la disparition de l'entreprise.

Un autre citoyen a demandé à M. Bergeron si, en présentant les avantages de l'oléoduc par rapport au train, la prétention de TransCanada était à l'effet que le pipeline signifierait la fin du transport pétrolier par train. Ce dernier a répliqué que son entreprise se consacrait au transport et non à la distribution d'hydrocarbures et qu'une telle décision ne dépendait pas de TransCanada.

La commission d'enquête du BAPE est présidée par Joseph Zayed, qui est responsable du champ de recherche en Prévention des risques chimiques et biologiques de l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) depuis 2009.

M. Zayed, qui a fait preuve d'un calme olympien durant cette première séance, rappelant la salle à l'ordre lorsque nécessaire, est secondé de deux commissaires: Michel Germain, qui a notamment présidé des audiences du BAPE sur certains autres projets d'oléoduc, et Gisèle Grandbois, qui a agi à titre de commissaire à la commission d'enquête sur les enjeux liés à l'exploration et à l'exploitation du gaz de schiste dans le shale d'Utica des basses-terres du Saint-Laurent.

Les audiences se déroulent à la salle Desjardins du complexe Les 2 Glaces, à Lévis, où quelque 250 personnes s'étaient entassées, certaines debout. Des salles de vidéoconférence ont également été prévues à Laval (au Centre Embassy Plaza), à Trois-Rivières (au Musée québécois de culture populaire) et à La Pocatière (au Centre Bombardier).

La première partie des audiences sera consacrée à l'étude d'enjeux relevant du mandat de la commission d'enquête du BAPE, dont les impacts potentiels sur l'approvisionnement en eau potable et des scénarios potentiels de déversement de pétrole. Les présentations seront faites par des personnes-ressources et des experts. Le BAPE espère ainsi «favoriser l'obtention d'une information de pointe sur les différents enjeux et faciliter la compréhension du dossier par le public».

La deuxième partie s'amorcera le 25 avril. C'est à compter de cette date que la commission entendra réellement l'opinion et les suggestions de la population. Pour ce faire, le président et les commissaires se déplaceront dans cinq villes: Montréal, Laval, Trois-Rivières, Lévis et La Pocatière.

Ils devront remettre leur rapport au ministre du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, David Heurtel, en novembre.

Vendredi, la Cour supérieure a rejeté une demande d'injonction de groupes écologistes qui souhaitaient suspendre la tenue des audiences.

TransCanada n'a pas remis d'avis de projet malgré les demandes répétées du gouvernement provincial, qui a donc maintenu la décision de tenir des audiences limitées en attendant d'obtenir davantage de la pétrolière. Québec a, cependant, déposé une requête en injonction pour forcer TransCanada à se conformer à la Loi sur la qualité de l'environnement, ce qui déclencherait un processus complet d'évaluation et d'examen des impacts environnementaux.

Mais, cela n'empêche pas le BAPE d'aller de l'avant. L'organisme peut, en vertu de l'article 6.3 de la Loi québécoise sur la qualité de l'environnement, tenir des audiences limitées moins contraignantes généralement qualifiées de «BAPE générique», ce qui ne satisfait guère les opposants au projet, même s'ils entendent y participer.

«Si on a un 6.3, c'est parce que le gouvernement provincial n'a pas mis ses culottes au moment où il fallait qu'il les mette, a indiqué la coordonnatrice du Mouvement stop oléoduc, Anne-Céline Guyon. Donc là, on est dans un processus bâtard de rattrapage.»

«Je ne légitime pas ce processus-là; j'y participe parce que je n'ai pas le choix», a-t-elle précisé.

L'oléoduc Énergie Est de TransCanada est un projet de pipeline de 4500 kilomètres qui transporterait environ 1,1 million de barils de pétrole par jour, de l'Alberta et de la Saskatchewan vers les raffineries de l'est du Canada et le terminal portuaire de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick.

Au Québec, la canalisation principale s'étendrait sur 625 kilomètres entre la frontière de l'Ontario et celle du Nouveau-Brunswick. La construction du terminal portuaire de Cacouna, initialement envisagée par TransCanada, ne fait plus partie du projet.