La Presse visite des communautés identifiées dans un récent plan stratégique développé pour TransCanada en raison de la force de l'opposition locale au projet de pipeline Énergie Est. Aujourd'hui: la région de Chaudière-Appalaches, qui abrite de rares partisans au projet à Lévis et d'ardents opposants dans la MRC de L'Islet. Un reportage d'Hugo Meunier et Edouard Plante-Fréchette.

«Dans 20 ans je ne serai plus maire et s'il y a des problèmes, je ne veux pas que les gens m'en tiennent responsable.»

Calé dans son fauteuil à l'hôtel de ville, André Caron n'y va pas de main morte pour expliquer pourquoi il s'oppose au passage de l'oléoduc sur son territoire.

En gros, une décision sur un sujet aussi important serait trop lourde à porter pour un seul homme. «Du pétrole, il en passe par bateau, par train et par la route. Pourquoi développer une quatrième façon d'en acheminer, au sein d'un projet qui ne nous rapportera rien?», demande André Caron sans attendre de réponse.

Le maire et ses homologues de quelques autres municipalités de la MRC ont fait adopter plusieurs règlements pour mettre des obstacles sur le chemin de TransCanada.

L'un d'eux prévoit une série de mesures pour protéger les citoyens, au cas où le pipeline serait installé contre la volonté municipale. Les élus de L'Islet ont également refusé d'acquiescer à une demande de TransCanada visant à utiliser les terres pour autre chose que de l'agriculture. «Nos règlements interdisent les travaux d'excavation de la part d'entreprises privées. Si toutes les municipalités faisaient la même chose, ça irait bien», explique M. Caron. Il croit que l'entreprise risque de se tourner vers les villes voisines qui n'imposent pas une ligne aussi dure.

Le maire Caron vante la qualité des nombreuses terres de la région, dont plusieurs servent à la culture maraîchère. «Ce projet est un paquet de troubles et un mauvais héritage à laisser à nos jeunes», dit-il. Il s'inquiète aussi des risques pour l'eau potable et des effets d'un déversement dans la nappe phréatique, puisque plusieurs de ses concitoyens tirent leur eau de puits.

Si les opposants au projet sont bruyants, il met en garde ses partisans, plus discrets. «Ceux qui vont accepter de l'argent ont une vision à court terme. Et la valeur de revente de leur terrain risque de s'effondrer», met en garde André Caron.

Le pipeline enfoncé dans la gorge

Les craintes du maire sont partagées par une trentaine de propriétaires de la MRC, dont les terres sont visées par le passage de l'oléoduc. Ceux-ci ont décidé de se regrouper au sein d'une association et tiennent des rencontres mensuelles pour faire le point. «On était exaspérés par les méthodes de TransCanada, son manque de respect et cette façon d'essayer de nous enfoncer le pipeline dans la gorge», résume Karine Audet, une des membres.

Cette infirmière déplore notamment l'attitude «colonialiste» de l'entreprise pour «vendre» le passage de l'oléoduc.

Elle dit avoir reçu une offre de 1000$ pour autoriser l'entreprise à faire des tests sur sa propriété de Bellechasse. Une offre refusée. «On m'a alors dit: pourquoi refuser? De toute façon, on va passer pareil», rapporte Mme Audet.

Les dommages collatéraux font peur aussi à Donald Lachance, pêcheur d'esturgeons noirs de Montmagny. L'homme craint par-dessus tous les ravages d'un déversement sur l'environnement et sur son gagne-pain. «Plus tu vas faire transiter du pétrole, plus les risques augmentent. C'est vraiment dégoûtant ce qui se passe!», peste le pêcheur, qui jette ses filets dans les eaux du fleuve depuis toujours. Mais M. Lachance ne se berce pas d'illusions. «C'est sûr qu'ils vont le passer, leur pipeline. Peut-on y faire quelque chose? Non!», soupire l'homme.