Entre 77 et 235 milliards, c'est ce que rapporteraient annuellement les crimes de nature environnementale. C'est plus que les dépenses du Québec, qui atteindront 74 milliards cette année. Et certaines de ces activités illicites serviraient à financer des groupes terroristes.

Espèces menacées d'extinction, exploitation illégale des ressources minières, déforestation, surpêche, déversement de déchets toxiques; les crimes environnementaux sont un véritable fléau. Ils représentent non seulement une menace grave pour la santé humaine en détruisant les écosystèmes, mais ils sont aussi une source de revenus pour des groupes armés.

En Somalie, par exemple, le trafic de charbon de bois vers la péninsule arabique serait la principale source de financement des islamistes shebab, qui déstabilisent le pays et qui ont revendiqué l'assaut meurtrier du centre commercial Westgate de Nairobi, au Kenya, il y a un an.

Dans l'est de la République démocratique du Congo, la vente d'ivoire qui découle du braconnage d'éléphants financerait les activités de l'Armée de résistance du Seigneur, une guérilla d'origine ougandaise. Son chef, Joseph Kony, est recherché par la Cour pénale internationale, qui veut le juger pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre, dont viols, mutilations, meurtres et recrutement d'enfants.



Contrer un phénomène grandissant

Dans le rapport The Environmental Crime Crisis, publié cet été, Interpol et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) dressent un portrait détaillé du phénomène, qui rivalise d'ampleur avec le trafic de drogues, et appellent la communauté internationale à l'action.

«Il y a certainement une plus grande attention politique maintenant», affirme au téléphone David Higgins, sous-directeur de la section des crimes contre l'environnement d'Interpol. Il y a six ans, cette section comptait une seule personne; d'ici la fin de l'année, il y en aura 40. «Et ça, c'est juste à Interpol», souligne-t-il.

«On constate une plus grande collaboration, une plus grande coordination entre les États, se réjouit M. Higgins. Les gouvernements réagissent peut-être moins vite que les organisations criminelles, de par leur nature, mais depuis trois ans, on sent une plus grande volonté de réagir conjointement.»

Participation du Canada

Le Canada a été l'un des premiers pays à s'impliquer lorsque Interpol a mis sur pied sa section des crimes contre l'environnement, aux côtés des États-Unis et de la Norvège, raconte David Higgins.

«Le Canada est un leader mondial en matière de lutte contre le crime environnemental, dit-il. Au lieu de regarder des pays comme le Kenya et la Tanzanie développer leurs politiques pour le combattre, il a partagé les siennes.»

C'est même un Canadien qui préside le groupe de travail d'Interpol sur les espèces sauvages: Sheldon Jordan, directeur général de la division de l'application de la Loi sur la faune d'Environnement Canada.

«On fournit souvent de la formation qu'on a déjà développée pour nos agents», précise-t-il au téléphone. La Presse a réussi à lui parler après de longues démarches auprès du service des communications d'Environnement Canada, qui a imposé qu'une représentante du Ministère assiste à l'entrevue.

«Beaucoup de nos opérations vont soutenir des pays qui ont de la difficulté à faire respecter leurs propres lois» ou même à les mettre en place, poursuit Sheldon Jordon, tout en spécifiant que Pêches et Océans Canada, ainsi que le ministère fédéral de la Justice, participent aussi à la lutte contre les crimes environnementaux à l'échelle mondiale.

Efforts qui portent leurs fruits

Pour contrer le problème, «il faut des lois robustes et une application robuste», croit David Higgins. À ce titre, le Brésil est l'un des leaders en la matière, souligne le rapport, évoquant «un effort majeur» pour réduire les coupes forestières illégales ciblant tous les aspects du problème.

La déforestation dans la forêt amazonienne du Brésil a ainsi atteint en 2012 son plus bas niveau depuis le début de la surveillance du phénomène, en 1988. L'observation par satellite et des opérations policières ciblées suivies d'enquêtes et de mises en accusation de têtes dirigeantes en seraient la cause.

La Tanzanie s'est pour sa part attaquée au braconnage. Depuis deux ans, plus de 1100 rangers ont reçu une formation spécialisée dans la traque des braconniers et la gestion d'une scène de crime impliquant la faune, qui est appuyée par des procès basés sur une preuve solide.

Depuis 2013, la Tanzanie participe, conjointement avec l'Afrique du Sud, le Mozambique, le Swaziland et le Zimbabwe, à l'opération Wildcat, qui a permis la saisie de 240 kg d'ivoire et l'arrestation de 660 personnes.



Des crimes payants

Les crimes environnementaux généreraient des revenus qui pourraient atteindre 235 milliards par année dans le monde, estiment l'ONU et Interpol. À titre comparatif, les revenus provenant du trafic de drogue s'élèveraient à 221 milliards. Voici les principales catégories de crimes environnementaux, les enjeux qu'ils soulèvent et les revenus qu'ils rapportent annuellement.

BOIS

> 33 à 110 milliards

> Enjeux :

changements climatiques provoqués par la déforestation

perturbe l'économie légale

MINERAIS

> 13 à 53 milliards

> Enjeux :

épuisement des ressources

nuit aux entreprises locales

FAUNE

> 8 à 27 milliards

> Enjeux :

espèces menacées d'extinction

PÊCHES

> 12 à 33 milliards

> Enjeux :

épuisement des stocks

perte de revenus pour les pêcheurs locaux

DÉCHETS

> 11 à 13 milliards

> Enjeux :

destruction des écosystèmes

menace pour la santé humaine

> Particularité:

ils suivent un trajet inverse par rapport aux autres crimes, allant du nord vers le sud

Source : Programme des Nations unies pour l'environnement et Interpol