La Russie a inculpé de «piraterie» les 30 militants de Greenpeace, en majorité étrangers, qui risquent jusqu'à 15 ans de prison pour une opération sur une plateforme pétrolière dans l'Arctique, a annoncé jeudi le comité d'enquête russe.

«Les trente suspects de l'enquête sur l'attaque de la plateforme Prirazlomnaïa ont été inculpés», a indiqué dans un communiqué le comité d'enquête.

Quatorze militants avaient déjà été inculpés mercredi pour «piraterie en bande organisée». L'ONG a aussitôt dénoncé une décision «destinée à intimider et à réduire au silence».

Jeudi matin, les seize autres personnes arrêtées à bord du navire de Greenpeace, l'Artic Sunrise, et placées en détention, ont été transférées au comité d'enquête de Mourmansk (nord-ouest).

Le sort de M. Siniakov, un photographe indépendant qui travaillait lors de l'opération de Greenpeace sous contrat pour l'ONG, a particulièrement suscité l'émoi en Russie.

Après son placement en détention, les médias de tous bords en Russie ont exprimé leur solidarité avec le photojournaliste qui avait travaillé dans le passé pour l'AFP et pour l'agence Reuters.

Selon l'ONG, environ 800 000 personnes, plus de 100 ONG et des personnalités telles que l'acteur britannique Ewan MacGregor ou le chanteur de rock russe Iouri Chevtchouk, ont signé un appel à libérer les militants.

Iouri Chevtchouk, leader du groupe DDT, a indiqué à des médias russes qu'il devait initialement se trouver à bord du bateau, ayant été invité par l'ONG, mais qu'il avait dû y renoncer pour des raisons personnelles.

De leur côté, les avocats des 30 militants ont formulé un recours contre leur arrestation, a indiqué une porte-parole du tribunal Leninski de Mourmansk.

Les membres de l'équipage, quatre Russes et 26 ressortissants de 17 autres pays - dont deux Canadiens (le Montréalais Alexandre Paul et Paul Ruzycki, de Port Colborne, en Ontario), six Britanniques, un Américain et un Français - ont été placés en détention à Mourmansk et dans sa région à la suite de l'arraisonnement le 19 septembre en mer de Barents (Arctique russe) de l'Arctic Sunrise par un commando héliporté des gardes-côtes russes.

«On ne pensait pas que des accusations seraient portées. Je trouve ça un peu farfelu», a laissé tomber à l'autre bout du fil Nicole Paul, la mère du Montréalais âgé de 35 ans.

«Ça n'a aucun sens. Ils manifestaient de façon pacifique. On s'entend que la piraterie, ça implique des armes, la prise de contrôle d'une autre embarcation. Greenpeace n'a rien fait de tel», a-t-elle fait valoir.

Nicole Paul est consternée de constater la façon dont son fils unique et ses camarades ont été traités par les autorités russes.

Au cours des sept dernières années, a-t-elle exposé, Alexandre Paul a multiplié les voyages en bateau aux quatre coins de la planète afin de défendre la cause qui lui est chère - il a bien passé une nuit sous les verrous en Écosse, mais il a été relâché sans qu'aucune accusation ne soit portée contre lui.

«Jamais ça ne s'est passé de la façon dont ça se passe présentement. Ils sont traités comme des terroristes. (...) C'est pas facile à vivre», a-t-elle soufflé.

Auparavant, plusieurs d'entre eux avaient tenté d'escalader une plateforme pétrolière du géant russe Gazprom pour dénoncer le risque qu'elle fait selon eux courir à l'environnement.

Le Comité d'enquête russe avait alors indiqué avoir ouvert une enquête pour piraterie.

Les militants ont nié ces accusations, et reproché à la Russie d'avoir arraisonné illégalement leur bateau dans les eaux internationales.

Le président russe Vladimir Poutine avait reconnu la semaine dernière que ces militants n'étaient «pas des pirates», mais avait souligné qu'ils avaient «enfreint le droit international».

Alors que ces déclarations ont soulevé l'espoir d'une révision à la baisse des accusations portées contre Greenpeace, le porte-parole du Kremlin a souligné mercredi que M. Poutine n'avait fait qu'exprimer «son opinion personnelle», et qu'il n'était «ni enquêteur, ni procureur, ni juge, ni avocat».

Le chef du Conseil présidentiel pour les droits de l'homme, un organe purement consultatif, Mikhaïl Fedotov, a estimé jeudi qu'il n'y avait aucun motif pour accuser les militants de piraterie.

«On les accuse de piraterie. Je pense qu'il n'y a pas le moindre motif pour cela», a-t-il déclaré à l'agence Interfax.

La veille, Kumi Naidoo, directeur exécutif de Greenpeace International, avait dénoncé les accusations à l'encontre des membres de l'équipage comme «une atteinte au principe même de la protestation pacifique», jugeant qu'elles étaient «absurdes» et «abominables».

- Avec La Presse Canadienne