La justice russe a prononcé mercredi de premières inculpations pour «piraterie», un crime passible de 10 à 15 ans de prison, à l'encontre des trente militants de Greenpeace arrêtés après une action contre une plateforme pétrolière dans l'Arctique.

L'association écologiste a aussitôt dénoncé une décision «irrationnelle, destinée à intimider et à (la) réduire au silence».

Cinq militants - un vidéaste britannique, Kieron Bryan, une Brésilienne, Ana Paula Alminhana Maciel, le Suédo-Américain d'origine russe Dmitri Litvinov, la Finlandaise Sini Saarela et le Russe Roman Dolgov - ont été inculpés de «piraterie en bande organisée», a indiqué Greenpeace.

Ce chef d'inculpation est passible en Russie de peines de 10 à 15 ans de prison.

«Les inculpations de piraterie sont sans fondement et ne s'appuient sur aucune preuve», a déclaré Irina Issakova, avocate de Greenpeace citée dans un communiqué de l'association

Elle a indiqué que l'ONG avait l'intention de porter plainte contre les «actions illégales des enquêteurs et des organes judiciaires».

«Aussi absurde qu'abominable»

Kumi Naidoo, directeur exécutif de Greenpeace International, a de son côté dénoncé des accusations qui représentent «une atteinte au principe même de la protestation pacifique».

«Toute affirmation selon laquelle ces militants sont des pirates est aussi absurde qu'abominable», a-t-il déclaré dans un communiqué.

Il a répété qu'il s'agissait de la «menace la plus sérieuse» contre l'activité «pacifique» de l'association depuis l'épisode du Rainbow Warrior, coulé en 1985 dans le port d'Auckland, en Nouvelle-Zélande, par les services secrets français, alors qu'il faisait campagne contre les essais nucléaires menés en Polynésie.

L'opération avait fait un mort, Fernando Pereira, 35 ans, membre de l'équipage et photographe, bloqué dans une cabine alors que le navire sombrait.

«Trois décennies plus tard, les militants de l'Artic Sunrise se sont élevés contre l'industrie pétrolière, et ils risquent maintenant une longue peine dans une prison russe», a-t-il ajouté, lançant un appel à l'opinion publique mondiale pour qu'elle réclame la libération des militants.

Au niveau gouvernemental, seuls les Pays-Bas - le navire de Greenpeace, l'Artic Sunrise, battait pavillon néerlandais - ont pour l'heure pris position publiquement et demandé qu'ils soient relâchés.

Un responsable de l'association, Ivan Blokov, a indiqué à l'agence Ria-Novosti qu'elle pourrait se tourner vers la Cour européenne des droits de l'homme si tous les recours devant la justice russe échouaient.

Les membres de l'équipage, parmi lesquels figurent quatre Russes et 26 ressortissants de 17 autres pays - dont deux Canadiens, six Britanniques, un Américain et un Français - ont été placés en détention à Mourmansk (nord-ouest) et dans sa région à la suite de l'arraisonnement le 19 septembre en mer de Barents (Arctique russe) de l'Arctic Sunrise par un commando héliporté des gardes-côtes russes.

Auparavant, plusieurs d'entre eux avaient tenté d'escalader une plateforme pétrolière du géant russe Gazprom pour en dénoncer le risque écologique.

Le Comité d'enquête russe avait alors indiqué avoir ouvert une enquête pour piraterie.

Les militants ont nié ces accusations, et accusé la Russie d'avoir pris illégalement d'assaut leur bateau dans les eaux internationales.

Poutine «ni juge ni avocat»

Le président russe Vladimir Poutine a de son côté reconnu que les militants «n'étaient pas des pirates» mais a souligné qu'ils avaient «enfreint le droit international».

Ces déclarations avaient soulevé les espoirs d'une révision à la baisse des accusations portées contre Greenpeace.

Interrogé par l'AFP mercredi, le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov, a souligné que celui-ci n'avait fait qu'exprimer «son opinion personnelle».

«Il n'est ni enquêteur, ni procureur, ni juge, ni avocat», a ajouté le porte-parole.

Pour Alexandre Morozov, rédacteur en chef du site Rousski Journal, «la sévérité des accusations est liée au fait que le Kremlin est persuadé qu'un "complot mondial" se joue derrière les actions de Greenpeace».

Les autorités russes pensent qu'«il ne s'agit pas de société civile, mais de manigances de la CIA, que c'est une "commande"», a-t-il déclaré à l'AFP.

Tatiana Lokchina, de l'antenne moscovite de l'ONG Human Rights Watch, a dénoncé une «histoire kafkaïenne».

«Nous avions l'impression qu'à l'approche des Jeux olympiques d'hiver de Sotchi, le pouvoir russe faisait des révérences face à l'opinion publique occidentale», a-t-elle déclaré. Mais dans cette affaire, «la volonté d'effrayer a surpassé le reste».