La «révolution verte» dans l'agriculture, qui a permis de nourrir une population mondiale en explosion dans les dernières décennies, montre des signes d'essoufflement.

C'est ce que conclut une nouvelle étude réalisée par l'Université McGill et l'Université du Minnesota, publiée dans la revue Nature Communications.

Dans plus du tiers des superficies de la planète où sont plantés du riz ou du blé, les rendements sont en stagnation, notent les auteurs, dont Navin Ramankutty, de la faculté de géographie de l'Université McGill. C'est la même chose, dans une moindre mesure, en ce qui concerne les cultures de maïs et de soya.

La stagnation est particulièrement marquée en Chine et en Inde, notent avec inquiétude les spécialistes. «Les deux pays les plus populeux de la planète sont des points chauds pour la stagnation des rendements», précisent-ils.

«Du côté de l'Asie, le principal continent pour la culture du riz, les rendements stagnent en Chine, en Inde et en Indonésie sur 79%, 36% et 81% des superficies, respectivement», précise la recherche.

Le rendement du blé, quant à lui, stagne en Chine et en Inde sur 56% et 70% des superficies.

Pour l'Asie, les auteurs attribuent ces observations à une variété de facteurs, dont les changements climatiques. «Des investissements considérables sont nécessaires en agriculture au cours des prochaines décennies pour répondre au défi de la demande croissante de nourriture», concluent les auteurs.

Accroître la performance

Selon Bruno Larue, professeur au département d'économie agroalimentaire de l'Université Laval, la recherche rassemble des données connues, mais apporte du nouveau en ce qui concerne l'Inde et la Chine.

«À certains endroits, c'est la stagnation. Ça met une certaine pression pour la création de variétés plus performantes, dit-il. Il faut mettre en place des mesures qui favorisent des techniques de pointe. On sait qu'en agriculture il y a des économies d'échelle, alors il faut enlever les obstacles à la modernisation.»

«Le milieu rural est extrêmement pauvre en Chine», souligne-t-il.

Bruno Larue s'inquiète en outre du fait que «dans plusieurs pays industrialisés, la recherche et le développement publics en matière agricole sont en déclin».

Autre point de vue

Rodolphe De Koninck, professeur de géographie à l'Université de Montréal et titulaire de la chaire de recherche du Canada en études asiatiques, a de son côté un point de vue fort différent. Il vient de faire paraître un ouvrage sur l'évolution de l'agriculture en Asie du Sud-Est

«Je prends toujours ces études avec un grain de sel, dit-il. Beaucoup de choses sont peu convaincantes dans leurs résultats. Je crois qu'ils exagèrent sur l'Inde et la Chine. D'ailleurs, je ne sais pas comment ils font pour avoir des résultats aussi précis en travaillant avec des méthodes comme la télédétection.

«Mais supposons que ce qu'ils disent soit vérifiable, ce sont des études toutes faites pour favoriser les formes d'intensification de l'agriculture qui sont à l'origine même de la stagnation dans certaines régions. Le discours qui est caché derrière ces études, c'est qu'il faut appliquer les méthodes de la grande agriculture hypermécanisée et qui se fonde sur l'utilisation excessive d'intrants industriels.

«On a systématiquement déstructuré l'agriculture de pays comme Haïti et la Somalie, qui étaient autosuffisants. Tandis que les pays qui ont refusé d'ouvrir leur agriculture au marché mondial de façon excessive et qui ont protégé l'agriculture vivrière à petite échelle, comme le Viêtnam ou l'Indonésie, sont autosuffisants.»

Il rappelle qu'on produit déjà dans le monde suffisamment de nourriture pour nourrir 9 milliards d'habitants. «La production agricole mondiale est adéquate, dit-il. Il y a lieu de mieux la répartir.»