Agriculteurs ou consommateurs devraient-ils payer pour les services de pollinisation rendus par les abeilles ou pour la pluie en forêt tropicale? Apparemment incongrues, ces questions se posent à l'occasion de la conférence de l'ONU sur la biodiversité en Inde.    

« Les services rendus n'ont pas de prix associé, ils ne sont donc pas comptabilisés », constate Neville Ash, directeur de la section biodiversité du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE).

Les discussions internationales menées depuis 20 ans pour endiguer l'érosion toujours plus rapide de la biodiversité peinent à se concrétiser en engagements sonnants et trébuchants pour la nature. Ces questions de gros sous sont au coeur de la conférence de Hyderabad (sud), où 160 pays sont réunis jusqu'à vendredi.

L'une des approches en vogue ces dernières années consiste à mettre un « prix » sur les services jusqu'ici rendus « gratuitement » par les écosystèmes. Il s'agit, selon ses promoteurs, de permettre à la biodiversité de trouver une place dans les « business plans » des entreprises ou les budgets gouvernementaux.

L'économiste indien Pavan Sukhdev, auteur d'un célèbre rapport finalisé en 2010, a largement contribué à imposer cette idée selon lui incontournable.

« Pour faire comprendre aux décideurs à quel point la biodiversité est importante, vous devez leur montrer la valeur en dollars des services fournis par les écosystèmes que leur économie est en train de perdre à cause de leur mauvaise gestion ou de la disparition de la biodiversité », explique-t-il à l'AFP.

L'une des rares tentatives pour chiffrer la valeur totale des services rendus par l'ensemble de la nature, en 1997, avait abouti au chiffre faramineux de 33 000 milliards de dollars annuels. Soit près du double du PIB mondial à cette date. L'étude avait suscité des doutes et même des moqueries.

Depuis, des études plus ciblées ont été menées, pour évaluer la valeur de la pollinisation par les abeilles (environ 190 milliards de dollars par an) ou de la protection contre les tempêtes fournie par les mangroves (jusqu'à 1000 dollars par hectare et par an).

Une nouvelle étude publiée la semaine dernière estime que 4 milliards de dollars par an sont nécessaires pour réduire le risque d'extinction de toutes les espèces menacées et 76 autres milliards pour bien gérer les sites terrestres importants pour la biodiversité.

« Des coûts très faibles par rapport aux coûts de l'inaction », assure son auteur, Donal McCarthy, économiste pour l'ONG BirdLife International.

Selon lui, cette somme ne représente que de 1 à 4 % de la valeur des services rendus par les écosystèmes perdus.

Bien que régulièrement contestée, cette approche semble de mieux en mieux acceptée.

Mais que faire de tous ces chiffres? « L'évaluation seule n'est pas suffisante », rappelle Nathaniel Carroll, chef du programme biodiversité à Forest Trends, une organisation à but non lucratif basée à Washington qui promeut des outils de protection de la forêt basés « sur le marché ».

« Chacun devrait payer pour sa dépendance, son utilisation et ses impacts sur la biodiversité s'il souhaite que ça continue à être disponible », dit-il.

Faut-il un marché de la biodiversité à la manière de celui existant en Europe pour le carbone et visant à permettre des réductions d'émissions de CO2? Faut-il des taxes, des redevances ou des systèmes de facturation de « services »?

Pour Dominic Moran, professeur en économie de l'environnement au Rural College d'Écosse, l'instauration de droits de propriété pourrait être une solution.

« Si les ressources sont confiées à des communautés ou à des pays en particulier qui en seraient les propriétaires, ils auraient alors le droit de les facturer », estime-t-il. « Ce serait aussi une incitation à gérer durablement ces ressources sur le long terme ».