Aux prises avec des problèmes de sites d'enfouissement au début du millénaire, la métropole ontarienne a décidé de prendre le taureau par les cornes et de réduire, par différentes mesures, la quantité de rebuts qu'elle envoie au dépotoir. Elle a notamment choisi de composter et de tarifer la collecte des déchets non réutilisables. Un exemple à suivre?

Lorsqu'on parle à d'ex-Montréalais de leur adaptation à la vie à Toronto, un thème revient régulièrement: les poubelles.

«Au début, c'est très intimidant», commente Debi De Santis, une de celles qui ont été surprises de trouver un système de cueillette des déchets aussi strict à son arrivée dans la métropole canadienne.

«Les poubelles à Toronto? Ça m'a pris six mois à comprendre comment ça fonctionne», lance en riant une autre interlocutrice, une Montréalaise expatriée depuis environ deux ans. «Mon nom? Je préfèrerais ne pas le donner. Je ne suis tellement pas certaine de tout faire comme il faut! Peut-être que des inspecteurs vont venir!»

Dans l'allée de sa résidence, dans un quartier au nord du centre-ville, il y a quatre poubelles.

Un bac à recyclage bleu énorme, un autre plus petit, vert, pour les déchets putrescibles, un contenant à déchets traditionnels noir - dont le volume est réglementé et tout excès tarifé - et un autre récipient pour les déchets organiques de jardin.

À Toronto, un tel assortiment de réceptacles à rebuts n'a rien de spectaculaire, c'est la norme. Si vous tombez sur des écolos, il y en aura plus encore, incluant les seaux sous les gouttières pour récolter l'eau de pluie et le compost maison, pour le potager installé dans la cour ou sur le toit.

Décider quoi faire avec un mouchoir, une branche ou un contenant de yaourt peut nécessiter quelques minutes de réflexion.

En revanche, contrairement à Montréal, si vous vous promenez au centre-ville en cherchant une poubelle verte où déposer votre bouteille d'eau vide afin qu'elle soit récupérée, vous trouverez rapidement. Vous n'aurez pas à faire 15 pâtés de maisons avant de la jeter finalement dans une corbeille traditionnelle, sentiment de culpabilité en plus, précieuses minutes en moins.

La Ville reine... des poubelles?

Toronto n'est pas Madame poubelle écolo depuis toujours, à la scandinave. Et elle ne l'est pas devenue en élisant des gouvernements municipaux radicalement verts façon Bogota ou Curitiba, au Brésil.

C'est une crise survenue il y a une dizaine d'années, au moment de la fermeture de son principal site d'enfouissement urbain, qui l'a obligée à prendre ce chemin. Certains s'en souviendront: en 2001, la Ville a été obligée par un recours collectif accueilli par les tribunaux de fermer son dépotoir local. Elle a alors voulu transporter ses déchets dans une ancienne mine du Témiscamingue ontarien, mais s'est retrouvée devant un barrage d'opposition. De cette crise est issu un scénario guère plus élégant: elle a commencé à envoyer des détritus vers Carleton, au Michigan. En 2010, la Ville s'est dotée de son propre nouveau site, près de London. Mais comme là encore, l'espace n'est pas infini, la nécessité de contrôler les quantités demeure incontournable.

«À travers tout ça, on a beaucoup discuté de l'endroit où on enverrait nos déchets, mais on s'est surtout rendu compte qu'on en produisait trop, explique Franz Hartmann, directeur général de l'Alliance environnementale de Toronto. Alors on s'est mis à chercher des solutions.»

La route n'a pas été sans embuches. Débats, grève spectaculaire, reportages dévastateurs sur l'efficacité des programmes de réutilisation des matières résiduelles...

Mais des changements concrets apparus petit à petit ont néanmoins transformé l'attitude de la métropole par rapport à ses poubelles.

Ainsi, depuis 2008, en plus du programme de récupération des matières recyclables, la Ville a un programme pour les déchets putrescibles - le tiers de nos poubelles - comme celui que Montréal a sur sa table à dessin, mais tarde à mettre en place.

Actuellement, ce programme n'est pas parfait. Seulement la moitié des ménages y participe, notamment parce que bien des résidants de tours d'habitations n'y ont toujours pas accès. Mais chez ceux qui habitent des résidences unifamiliales et qui ont des bacs à compostage et à recyclage, on estime que 63% des détritus sont redirigés ailleurs que vers la poubelle traditionnelle. «Et on aimerait bien que ça monte à 70% pour tout le monde», affirme M. Hartmann.

Du côté de l'Ontario Waste Management Association, qui représente l'entreprise privée de récolte des déchets, la volonté de chercher à réinventer les poubelles est semblable: «On croit fortement que les matières résiduelles sont des ressources, explique Peter Hargreave, directeur des politiques et de la stratégie à la OWMA. La réutilisation des déchets est non seulement bonne pour l'environnement, il y a aussi des bénéfices économiques. Pour chaque millier de tonnes réacheminées, on crée sept emplois.»

Poubelles tarifées

Depuis trois ans, la Ville a institué une autre mesure pour encourager les résidants à mieux rediriger la destination de leur détritus: la tarification.

«Pour aider l'atteinte des objectifs de réacheminement des déchets, il est proposé de retirer les coûts de la gestion des matières résiduelles de la taxe foncière de base, pour remplacer le tout par une structure tarifaire liée au volume et aux besoins en ramassage des propriétés», peut-on lire dans le rapport de la réunion du comité exécutif de la Ville de mai 2007. «Une structure basée sur le volume donnerait aux individus l'occasion et les moyens de diminuer leur production de déchets et, de cette façon, de gérer eux-mêmes le poste budgétaire de leur ménage à cet égard.»

Là encore, le but de l'opération est d'aider les résidants à réacheminer 70% de leurs déchets ailleurs que vers le dépotoir municipal.

«Et ces systèmes, adoptés par 23 villes en Ontario, ont montré qu'ils fonctionnaient», explique M. Hargreave. D'ailleurs, à Toronto, selon les chiffres fournis par l'administration municipale, entre 2007 et 2010, la Ville a réduit de 865 000 à 813 000 tonnes ses déchets totaux et de 498 000 tonnes à 433 000 tonnes ses détritus partant vers son site d'enfouissement.

En gros, le système fonctionne ainsi: la Ville distribue une série de poubelles officielles. Celles qui servent au recyclage et au compostage sont distribuées gratuitement, mais celle qui est utilisée pour les résidus solides non récupérables est tarifée selon sa taille. En outre, il faut payer 3,10$ pour des étiquettes à attacher à tous les sacs de détritus qui débordent de la poubelle réglementaire.

Ce système a été instauré sous l'ancienne administration. L'actuelle, celle du maire Rob Ford, a décidé de le changer un petit peu en privatisant la récupération des déchets dans certains secteurs de la ville, ce qui inquiète le conseiller municipal Gord Perks. «La Ville nous assure que le ramassage se fera selon les mêmes normes, mais j'ai des doutes», dit-il.

L'autre grande question du moment, ajoute M. Hartmann touche la saturation des efforts citoyens. «Bien jeter», c'est une chose, mais comment peut-on toujours réduire ses déchets si aliments, objets de consommation, matériaux de construction et tutti quanti sont emballés et conçus sans que leurs fabricants, eux, s'inquiètent de toutes les matières résiduelles produites?

«Le problème, c'est que ceux qui utilisent ces emballages pour vendre leurs produits n'ont pas à payer pour la gestion ensuite quand cela devient des déchets, explique M. Hartmann.Le prochain grand défi est d'agir auprès de ces compagnies.» Et ça, ça doit se passer au niveau provincial. «Il faut changer notre façon de designer les emballages, les produits.»

En a-t-on parlé durant la dernière campagne électorale provinciale? Pas du tout.

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Toronto et ses poubelles, en chiffres

- En 2010, dernière année de son contrat avec un site d'enfouissement du Michigan, Toronto y a acheminé par camion 510 000 tonnes de déchets.

- Le nouveau site d'enfouissement de la Ville, Green Lane, est à Southwold, au sud-ouest de London, à environ 200 kilomètres du centre-ville de Toronto.

- La Ville a acheté ce site de 71 hectares en 2007 pour 220,3 millions de dollars. Sa capacité totale est d'environ 13,8 millions de tonnes de déchets solides non dangereux.

- On prévoit que Green Lane pourrait arriver à saturation d'ici 17 à 28 ans, tout dépendant de la capacité de Toronto de diminuer sa production de déchets solides non réutilisables.

- En 2013, la récupération des gaz relâchés par le site devrait permettre la production d'environ 10 mégawatts d'électricité. Éventuellement, on prévoit que ce sera 16 mégawatts.

- Environ 79 000 tonnes de déchetsseront enfouies au site en 2011 (dont 70% proviennent de Toronto).

- En 2009, 44% des déchets résidentiels de Toronto ont été réacheminés grâce à différents programmes, notamment le recyclage et le compostage. Ceci représente l'équivalent de363 891 tonnes de déchets.

- Le programme des poubelles vertes - pour les déchets putrescibles - ramasse les détritus de 440 000 maisons unifamiliales et de 70 000 unités de logement chaque semaine. C'est le plus important programme de ce type en Amérique du Nord. En 2009, 85 000 tonnes de déchets organiques ont ainsi été récoltées, contre 139 757 tonnes de produits recyclables.

Source: Ville de Toronto