Doit-on brosser un portrait global des eaux souterraines dans le sud du Québec pour détecter les fuites des puits de gaz de schiste?

La question continue de soulever la controverse, 10 jours après que La Presse eut fait état d'un premier résultat de test révélant un indice de contamination de l'eau à proximité d'un puits non identifié de gaz de schiste au Québec.

Le test a été réalisé par Karlis Muehlenbachs, expert de l'Université d'Edmonton, selon la méthode d'analyse des «profils isotopiques» (voir encadré). Il a trouvé la même signature dans deux échantillons de gaz, l'un extrait du gisement par un puits récent et l'autre dans la nappe phréatique non loin de ce puits. Notons que c'est un indice et non une preuve de contamination, vu l'absence de données de base sur le profil isotopique de départ des eaux souterraines.

L'expert albertain a affirmé qu'il serait souhaitable d'établir ce profil de départ dans la région visée par l'industrie gazière, afin de détecter plus facilement toute contamination future, une suggestion que le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) rejette pour le moment. Le ministre Pierre Arcand a indiqué que la décision revient au comité de l'Évaluation environnementale stratégique (EES) sur le gaz de schiste.

Une analyse souhaitable, indique un expert

Selon un expert québécois, cette analyse serait souhaitable et peu coûteuse en regard des revenus que doit procurer l'exploitation du gaz de schiste.

Cet expert est Jean-François Hélie, professeur associé au département des sciences de la Terre et de l'atmosphère de l'UQAM, et gestionnaire du laboratoire d'isotopes stables du laboratoire Geotop, qui se spécialise dans l'analyse de profils isotopiques.

M. Hélie croit que le test de M. Muehlenbachs est «très convaincant». «Ça se peut que la signature soit la même par hasard, mais c'est très peu probable», dit-il.

Il ne voit aucune raison de ne pas faire le portrait isotopique régional des eaux souterraines. «M. Muehlenbachs le dit lui-même: c'est très peu coûteux, dit-il. Les coûts seraient insignifiants par rapport aux profits qu'on peut retirer de l'exploitation du gaz.»

Il ajoute que l'industrie gazière se sert déjà de cette méthode d'analyse. En effet, un tableau publié à l'automne par la société Talisman indique que la technique des profils isotopiques «s'est révélée un outil idéal» pour l'aider à colmater son puits de Leclercville, l'hiver dernier. Ce tableau est d'ailleurs signé par Marianne Molgat, une géologue de Talisman qui fait partie du comité de l'EES.

«Les données sur le profil isotopique de différents gaz pour les différentes strates géologiques existent, mais elles ne sont pas publiques, dit M. Hélie. Les gens de Talisman s'en servent, on le voit.»

Pour Michael Binnion, président de la société gazière Questerre, le cas soulevé par M. Muehlenbachs a le mérite de lancer le débat sur les risques réels de l'industrie et les moyens d'y remédier. «C'est une erreur de la part de l'industrie de sous-estimer le sujet des migrations de méthane, a-t-il affirmé par courriel en réponse aux questions de La Presse. Des puits bien construits protègent l'eau souterraine.»

«Je crois qu'une étude sur l'eau souterraine serait une bonne idée, cela fournirait un portrait de départ avant le début de l'exploitation, dit-il. Alors on saurait si l'industrie est responsable ou non.» En effet, il y a naturellement du gaz dans l'eau souterraine au Québec, un fait connu depuis plus de 100 ans, rappelle-t-il.

Mais la méthode des profils isotopiques a des limites, dit M. Binnion. «Dans bien des cas, elle donne des réponses définitives, mais elle fonctionne bien quand le gaz contient du propane, de l'éthane ou du butane. Il y a beaucoup de gaz dans l'Utica [le gisement québécois] qui contient peu ou pas de propane ou d'éthane.»

De plus, dit-il, tout le gaz du Québec provient de roches qui ont le même âge que le schiste d'Utica. «Deux gaz du même âge sont difficiles à différencier», dit-il.