Le ministère des Ressources naturelles et de la Faune estime que le terrain visé par un projet résidentiel controversé à Carignan est un écosystème forestier exceptionnel, ce qui contredit complètement une étude rendue publique par le promoteur la semaine dernière.

Cet avis est contenu dans une lettre adressée à la Ville le 2 septembre dernier. La Ville avait refusé jusqu'ici de la rendre publique. La Presse l'a obtenue par un autre moyen.

Dans cette lettre, l'ingénieur forestier Normand Villeneuve, spécialiste des forêts du sud du Québec au ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF), affirme que toute la zone visée par le projet immobilier de l'entrepreneur Mario Venafro est un «écosystème forestier exceptionnel». Le terrain de 6 hectares est appelé l'île au Foin ou partie nord de l'île aux Lièvres.

L'avis n'a pas de portée judiciaire parce que le MRNF n'a pas le pouvoir de forcer la conservation d'écosystèmes forestiers en terrain privé. Il n'a «qu'une valeur morale», précise l'auteur.

«La protection de ce site remarquable est souhaitable, affirme M. Villeneuve. Cet écosystème forestier exceptionnel (EFE) abrite une importante population de tilleuls d'Amérique et de caryers qui forment un groupement végétal [qui] ne se rencontre que très sporadiquement en milieu riverain au sud du Québec.»

L'ingénieur conclut en invitant la Ville à rechercher des solutions pour protéger cette forêt ou limiter les effets négatifs que pourrait avoir sa transformation.

La semaine dernière, le promoteur Mario Venafro avait convoqué la presse pour dévoiler sa propre étude sur la même forêt. Réalisée par la firme Jean Gobeil & associés, cette étude affirme: «Nous ne sommes pas en présence d'un peuplement forestier rare.» La Presse a joint son auteur, le biologiste Gaston Lacroix.

«L'avis de M. Villeneuve est basé sur des observations de 2002, dit-il. Ses chiffres quant aux essences d'arbres ne concordent pas avec ce que nous avons constaté, ni avec les autres études que nous avons consultées, ni même avec le rapport de la firme Biofilia, sur lequel il dit se baser. Nous avons travaillé dans les règles de l'art. Qu'il rende public son inventaire. Je ne demande pas mieux que d'être contre-expertisé.»

Le dévoilement de la lettre de M. Villeneuve survient alors que le débat en vue du référendum du 2 octobre prochain se poursuit dans la ville de 8000 habitants. Les citoyens sont invités à se prononcer sur deux projets de règlement qui s'appliqueront à toute la ville, un sur le zonage et un autre sur le lotissement.

Mais c'est l'avenir des milieux naturels comme l'île au Foin qui mobilise les tenants du non. Ce sont eux qui ont forcé la tenue du référendum après avoir recueilli plus de 500 signatures au registre de la Ville, en juin dernier.

Demain, les opposants manifesteront dans la ville voisine de Chambly, car la mairesse de Carignan, Louise Lavigne, a interdit la manifestation sur le territoire de sa ville, du jamais vu depuis des décennies au Québec.

Jointe par La Presse, Mme Lavigne a affirmé qu'elle avait décidé de ne pas publier la lettre de M. Villeneuve «Est-ce qu'on peut savoir de quoi on parle? dit-elle. J'ai reçu en septembre quelque chose qui a été identifié il y a neuf ans. On a demandé plus de détails.»

«Un EFE, c'est un statut de protection sur une terre publique, dit-elle. La protection en milieu privé dépend entièrement de la bonne volonté du propriétaire. Le promoteur est totalement braqué contre toute solution. Il a dit qu'on devra l'exproprier. Il y a une opposition totale. Le dossier est déjà devant les tribunaux. Il est trop tard.»

La Ville a d'ailleurs ajouté hier à son référendum une question consultative: elle demande aux citoyens s'ils s'opposent à ce que la Ville achète le terrain. Selon une évaluation qu'elle vient de dévoiler, la Ville estime qu'il coûterait 3,5 millions, ce qui ferait augmenter l'impôt foncier.

Mais pour les opposants comme Patrick Paré, c'est la vérité qui éclate avec la lettre de M. Villeneuve. «Il faut dire la vérité et faire stopper cette destruction massive», dit-il.

Quant à la question sur l'acquisition du terrain, il estime qu'elle est mal posée. «La mairesse nous dit: est-ce que vous vous opposez à payer 140$ par année pendant 10 ans sur votre facture d'impôt foncier? On va répondre oui à cette question. On s'y oppose, mais pour des raisons différentes. On veut que des organismes de conservation s'unissent pour acheter le terrain, comme ça s'est fait ailleurs, comme à Brossard ou à Sainte-Julie.»