Au moment où l'effervescence printanière gagne une multitude d'oiseaux qui se préparent à nicher, des scientifiques s'interrogent sur l'avenir de plusieurs espèces.

Les résultats préliminaires obtenus dans le cadre de l'Atlas des oiseaux nicheurs du Québec, dont le but est de déterminer la distribution des oiseaux qui se reproduisent ici, indiquent que la population de dizaines d'espèces indigènes a connu une baisse considérable au cours des dernières années. Par contre, d'autres, beaucoup moins nombreuses toutefois, sont en pleine expansion.

La situation de plusieurs hirondelles (rustiques, des rivages, noires et à front blanc), de l'engoulevent bois-pourri, de l'engoulevent d'Amérique, un oiseau autrefois abondant dans le ciel de Montréal, et surtout du martinet ramoneur dont les effectifs ont considérablement baissé au cours des récentes décennies, inquiète les biologistes. Même l'universel moineau domestique est en déclin.

Plusieurs espèces qui fréquentaient jadis les terres abandonnées de nos banlieues sont aussi en chute libre parce que ces espaces vitaux diminuent comme peau de chagrin. C'est le cas du goglu des prés, de la maubèche des champs ou encore de la sturnelle des prés, des oiseaux qu'il était assez facile d'observer autour de Montréal il y a une vingtaine d'années à peine. D'autres comme le tyran tritri, la bécasse d'Amérique, la perdrix grise, le pluvier kildir ou encore le vacher à tête brune, oiseau parasite qui fait pourtant élever ses petits par les autres, voient aussi leurs populations décroître.

Des 443 espèces déjà signalées au Québec, seulement 278 vivent sur place ou viennent y élever leurs petits. Certains experts estiment que la diminution pourrait toucher près de la moitié d'entre elles.

Responsable de la coordination de l'Atlas pour Environnement Canada, le biologiste Michel Robert précise cependant qu'il faudra attendre que la compilation des données soit terminée, à la fin de 2014, pour avoir un portrait précis de l'évolution de nos oiseaux. Mais déjà, si l'on compare les résultats obtenus l'an dernier avec ceux du premier Atlas publié en 1995, il est évident que la situation de nombreuses espèces est précaire.

Plusieurs facteurs sont en cause. «Les oiseaux qui se nourrissent exclusivement d'insectes, particulièrement ceux qui les capturent en vol, comme les engoulevents, les hirondelles ou les martinets déclinent, indique le scientifique. La situation n'est pas particulière au Québec et pourrait être attribuable à la baisse considérable d'insectes, un problème probablement lié à l'agriculture intensive sur tout le continent. Dans certains cas comme chez l'hirondelle rustique, c'est la rareté des lieux de nidification qui pose problème. Le réchauffement climatique et les pratiques agricoles (les bêtes élevées en enclos, l'élimination des zones tampons, le fauchage très hâtif, etc.) sont également en cause.»

Par ailleurs, de nombreuses espèces migratrices sont malmenées dans les lieux d'hivernage, en Amérique centrale et en Amérique du Sud, en raison de la destruction des habitats et de l'utilisation massive des pesticides qui empoisonnent la chaîne alimentaire. Par exemple, la sarcelle à ailes bleues, un canard qui voit souvent son nid détruit par les coupes hâtives du fourrage au Québec, est abondamment chassée sur les sites d'hivernage.

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DES PERDANTS

Le moineau domestique

Introduit d'Europe par des lâchers aux États-Unis dans les années 1850 et même à Québec en 1868, le moineau domestique s'est merveilleusement adapté à son nouveau milieu. Au point qu'à peine 20 ans plus tard, le 20 juillet 1889, La Presse titrait en une: Mort aux moineaux. La disparition du cheval de nos rues et plus récemment, la modification de l'architecture urbaine, l'élevage en enclos et la concurrence livrée par un nouvel arrivant, le roselin familier, ont tous contribué au déclin du moineau qui s'est accentué depuis deux ou trois décennies

L'hirondelle rustique

L'hirondelle rustique, notre hirondelle des granges, doit composer avec une baisse considérable des lieux de nidification, les bâtiments de ferme étant moins nombreux et plus modernes. La chute des populations d'insectes volants aurait aussi contribué à la dimunition de la population. Le gigantesque ouragan Wilma, à l'automne 2005, en pleine période migratoire, serait également responsable d'une hécatombe dans la population. Cette espèce migre jusqu'en Argentine.

Le martinet ramoneur

Étonnante évolution que celle du martinet ramoneur, oiseau de petite taille, encore présent dans le ciel montréalais, toujours en vol ou presque, souvent confondu avec l'hirondelle. La colonisation ayant décimé les arbres où il nichait, l'espèce s'est installée dans les cheminées qui cessaient de fumer durant la saison de reproduction. Quelques siècles plus tard, les cheminées disparaissaient en quelques décennies ou étaient grillagées en raison de la réglementation. À cela s'ajoute la rareté des insectes volants. Résultat: un déclin d'effectifs de plus de 90% au cours des récentes décennies. Aujourd'hui, la population totale ne dépasse guère les 4000 individus. L'oiseau hiverne en Amérique du Sud (Chili, Pérou, Équateur, Brésil).

DES GAGNANTS

L'urubu à tête rouge

Souvent appelé à tort vautour à tête rouge, l'urubu est un nouveau venu au Québec. Même si on l'imagine beaucoup plus dans les étendues désertiques du Sud que dans la forêt boréale. La première mention de nidification, dans l'Outaouais, date de 1986. Ce charognard au charme particulier est maintenant en pleine expansion et on le trouve aussi bien au Témiscamingue qu'en Abitibi ou sur la Côte-Nord. De nombreux individus sont signalés chaque année dans la région métropolitaine, même en plein coeur de Montréal. Le réchauffement climatique, la grande population de chevreuils et la circulation automobile, qui lui procure des milliers de carcasses, seraient en cause.

Le dindon sauvage

Jadis présent dans le sud du Québec au XVIIIe siècle pour ensuite disparaître en raison de la chasse intensive, comme ce fut le cas aussi dans une bonne partie des États-Unis, le dindon sauvage fait un retour remarquable sur le territoire québécois ces dernières années, notamment en Estrie et en Montérégie. Ces oiseaux proviennent à l'origine des États américains limitrophes où le dindon a été réintroduit. Le réchauffement climatique a favorisé le dindon mais certaines populations ailleurs au Québec, comme dans l'Outaouais, doivent leur existence aux lâchers réalisés par la Fédération des chasseurs et pêcheurs du Québec.

Le cardinal rouge

Le cardinal rouge, une espèce familière particulièrement prisée des amateurs d'oiseaux en raison de son vif coloris, est en nette progression vers l'est, notamment dans la région de Québec où il était absent il y a 20 ans. Cette expansion territoriale aurait aussi été favorisée par les hivers plus doux de même que par la présence de mangeoires installées par les amateurs pour observer et nourrir les oiseaux durant la saison froide.