Derrière les braconniers d'ivoire, les pollutions sauvages, les pêcheurs illégaux ou les escroqueries aux quotas-carbone, il y a souvent de puissantes mafias internationales, assurent policiers et experts.

Elles ont trouvé dans l'environnement un secteur fructueux, mal surveillé, relativement peu risqué, pour lesquels les rendements rivalisent avec ceux de leurs activités traditionnelles.

«Les criminels dans ce secteur sont très organisés», explique à l'AFP à Doha, en marge de la 79ème Assemblée générale d'Interpol, David Higgins, du programme Crimes environnementaux de l'organisation policière internationale.

«Leurs crimes, que ce soit contre l'environnement, les espèces sauvages ou la pollution, les font franchir sans arrêt des frontières internationales», ajoute-t-il.

À sa grande satisfaction, Interpol a adopté le 8 novembre une résolution soutenant la Convention sur le commerce international des espèces sauvages menacées (CITES). Elle demande aux policiers du monde de se mobiliser contre les «atteintes à l'environnement».

«Cela veut dire que ces crimes doivent désormais être pris au sérieux», ajoute-t-il. «Les chefs des polices ont admis que cela était lié à la criminalité organisée».

Cela fait plus de quinze ans que John Sellar, ancien policier écossais qui dirige la lutte contre la criminalité verte à la CITES attendait ce moment.

«Les gens imaginent mal les sommes en jeu, uniquement dans les trafics d'espèces sauvages», dit-il. «Ils croient encore trop souvent que ce sont des braconniers locaux qui vont en forêt et tirent sur ce qu'ils trouvent, alors qu'il s'agit de réseaux de criminels professionnels, qui tuent ou capturent des animaux à grande échelle».

Au printemps Samuel Wasser, de l'Université de Washington à Seattle, estimait le seul trafic d'espèces sauvages à plus de 20 milliards de dollars par an, avec des saisies d'ivoire pouvant atteindre en valeur vingt millions de dollars par prise.

Face à des enjeux pareils, mafias, triades, cartels et syndicats du crime investissent des fortunes, sachant que les retours seront dignes du trafic de drogue et les peines encourues bien moindres en cas d'échec.

«Vous avez des groupes qui louent des hélicoptères pour traquer éléphants et rhinocéros en Afrique australe», assure David Higgins. «En 2005, un bateau de pêche européen a été arraisonné par la marine australienne en train de pêcher des légines australes, une espèce protégée qui rapporte des fortunes sur le marché noir. Ils étaient prêts à aller de l'autre côté de la terre pour ça».

Selon lui, «les bandits s'intéressent à l'environnement parce qu'ils savent que ce n'est pas très surveillé (...) Si vous passez une frontière avec de la drogue, vous avez une bonne chance d'être pris. Mais si c'est avec un couple de pangolins (petits mammifères protégés) en Asie, la plupart des policiers ne bronchent pas».

Dans une «note d'alerte» qu'il vient de présenter à l'Institut de criminologie de Paris II, Noël Pons, spécialiste de la criminalité en col blanc, dénonce la «prédation criminelle de l'écologie».

«Ayant conçu un business-modèle criminel neuf grâce à leur grande capacité d'adaptation, mafieux et bandits noyautent un système encore quasiment sans défense, puis y organisent de méga-détournements de fonds, de subventions ou de taxes», explique-t-il.

Au traitement des ordures et déchets, dans lesquels les mafias sont impliquées depuis des décennies, se sont ajoutées les appropriations frauduleuses d'aides publiques notamment dans le secteur de l'éolien, grâce à des dossiers falsifiés, qui rapportent des millions.

Et des «carrousels», fraudes à la TVA classiques mais difficiles à contrer, ont été montés par des mafieux autour des quotas-carbone, ces «droits à polluer» récemment créés: «elles dépasseraient en Europe les cinq milliards d'euros (6,9 milliards de dollars)», estime Noël Pons.