Encore inconnue au Québec il y a cinq ans, l'industrie du gaz de schiste a réussi depuis à faire l'unanimité contre elle. Et ce, avant même d'avoir commencé à produire. Entre les écologistes en colère, les citoyens inquiets et les entreprises qui promettent des retombées faramineuses, une nouvelle source de richesse tente de voir le jour au Québec. Avec des besoins à satisfaire qui dépassent déjà ses moyens, la province a-t-elle les moyens de s'en passer?

Des investissements de deux milliards par année, des jobs payantes pour les Québécois et des redevances pour le gouvernement. C'est ce que la future industrie du gaz de schiste promet pour vaincre la résistance à laquelle elle fait face.

«Un jeune de Saint-Édouard-de-Lotbinière pourra gagner le salaire de Fort McMurray en restant dans son patelin. C'est ce qu'on offre.» André Caillé, ancien grand patron de Gaz Métro et d'Hydro-Québec, défend maintenant la cause de l'industrie du gaz de schiste avec la même assurance.

La production de gaz naturel au Québec créera 15 000 emplois par année pendant la durée de vie du gisement, qui serait de 50 à 100 ans, assure-t-il en entrevue. Le Québec profitera des impôts de ces travailleurs et des nouvelles activités que générera l'industrie gazière.

Dans sa phase actuelle d'exploration, l'industrie a recours à de l'expertise et à de l'équipement qui viennent de l'Alberta. C'est vrai, reconnaît André Caillé, mais c'est parce qu'on en est encore aux travaux d'exploration et que le Québec n'a pas une longue expérience en la matière.

L'expertise viendra avec le temps, espère M. Caillé. Une fois la production commencée, l'industrie aura besoin de beaucoup de main-d'oeuvre. «De toutes sortes de métiers, précise-t-il, la plupart existant au Québec comme ceux de camionneur, de soudeur, d'électricien et d'opérateur de machinerie lourde.»

L'expertise du Québec est toutefois inexistante dans les emplois les plus payants, comme les métiers spécialisés sur les plateformes de forage. Cette lacune pourrait être comblée si le cégep de Thetford-Mines réussit à former des techniciens pour le travail sur les plateformes, comme il en a l'intention.

André Caillé croit que 70% des investissements de deux à trois milliards par année faits par l'industrie bénéficieront au Québec. «Ça ne peut pas être 100%, c'est sûr. Il y a des fuites. Les bulldozers et les Caterpillars ne sont pas fabriqués au Québec. Mais il restera autant d'argent ici qu'en Alberta parce qu'eux non plus ne fabriquent pas de Caterpillars.»

Mieux que l'éolien

Le développement récent de l'industrie éolienne a laissé un goût amer à beaucoup de Québécois, frustrés de constater que les entreprises qui ont décroché les contrats d'Hydro-Québec sont très majoritairement des multinationales de l'Alberta ou de l'étranger, comme GE, TransCanada Energy ou Électricité de France.

Au terme des appels d'offres d'Hydro-Québec pour l'achat d'énergie éolienne, les retombées économiques pour le Québec se limiteront à une ou deux usines à la survie incertaine en Gaspésie.

Ce ne sera pas le cas pour le gaz de schiste, jure André Caillé. «Ce n'est pas comme l'éolien, où tu construis et, après ça, il n'y a plus de jobs. Nous autres, c'est continuellement à refaire, c'est une industrie différente qui ressemble plus à l'agriculture», illustre-t-il.

Les puits de gaz de schiste doivent être stimulés, tous les cinq à sept ans, pour qu'ils continuent de produire. Les besoins en main-d'oeuvre seront donc constants, tant qu'il y aura du gaz.

En plus des impôts qui seront payés par les travailleurs, le gouvernement recevra des redevances pour l'exploitation de la ressource.

Au prix que se vend actuellement le gaz sur le marché,  le gouvernement pourrait espérer recevoir entre 120 et 140 millions par année de l'exploitation du gaz de schiste.  Il s'agit d'une estimation parce que le montant des redevances variera selon le prix du gaz, la productivité des puits et la demande du marché. Ce bénéfice prévu pourrait en outre être réduit par les incitatifs fiscaux dont les entreprises profiteront.

En Alberta, les grandes multinationales du pétrole et du gaz retirent la part du lion des bénéfices générés par les ressources albertaines. En 2007-2008, alors que le prix du pétrole battait des records sur le marché, l'Alberta a reçu 10 milliards en redevances. C'est beaucoup d'argent, mais c'est seulement l'équivalent des profits de l'année de Suncor et Encana, deux des 150 entreprises actives sur son territoire...

André Caillé en convient, le gros des profits de l'exploitation des ressources naturelles va dans les poches de ceux qui investissent, c'est-à-dire les entreprises. Si les Québécois en veulent plus, ils n'ont qu'à devenir actionnaires des entreprises qui exploiteront le gaz de schiste, affirme-t-il.

Seulement une poignée de petites entreprises québécoises sont actives dans le gaz de schiste, comme Junex et Gastem. À mesure que le potentiel se précise, de plus grosses entreprises débarquent en sol québécois. Comme Talisman et Questerre, qui viennent de l'Alberta, ou Forest Oïl, des États-Unis. Si les quantités de gaz exploitable sont aussi abondantes qu'on le croit, ce n'est qu'une question de temps avant que les majors comme Exxon ou Shell débarquent et ne fassent qu'une bouchée de ces entreprises qui ont préparé le terrain, pour le plus grand plaisir de leurs actionnaires.

Si ce scénario classique du secteur des ressources se répète pour le gaz de schiste, le gros des profits ira dans les poches des actionnaires des géants du pétrole, comme en Alberta.

Il y a un autre scénario possible, rétorque André Caillé.  Si les Québécois veulent obtenir plus que des emplois et des redevances, cela ne tient qu'à eux. Ils n'ont qu'à investir directement dans les entreprises qui exploitent le gaz  de schiste.

«On a des institutions au Québec qui sont capables de faire ça, dit-il. Notre capacité d'épargne est assez importante. Si on en veut plus, on n'a qu'à investir, les actions sont à vendre en Bourse».

Cela dit, l'ancien président d'Hydro-Québec croit que la richesse du gaz de schiste est surtout dans les emplois et les impôts qui viendront avec. Le modèle albertain, où l'État n'a pas de participations dans les entreprises pétrolières et gazières, fonctionne quand même bien, selon lui. «Ça a l'air de marcher pareil, ça ne va pas trop mal en Alberta».