Pieuvre à tête de Dumbo l'éléphant qui vit à plus de 3000 mètres de profondeur, ver pénis de l'Arctique aux allures de palourde royale miniature ou poisson-dragon à la langue dentée qui peut avaler une proie 10 fois plus grosse que lui: le Census of Marine Life révèle que plusieurs étranges créatures habitent au fond des mers.

Depuis 10 ans, le projet mobilise 2700 chercheurs de 80 pays pour recenser les espèces vivant dans les océans.

 

Quelque 250 000 espèces sont identifiées dans le rapport préliminaire, publié lundi dans la revue PLoS One. Il y en a tant qu'on peinera à tous les nommer.

Parmi ces 250 000 espèces, seulement 5% sont des poissons ou des mammifères. Les autres sont des invertébrés, des algues, des microorganismes et des phytoplanctons. Les bactéries, dont il existerait environ un milliard de variétés dans les océans, sont comptabilisées dans une autre catégorie.

Les découvertes du Census of Marine Life (CML) ne sont que la pointe de l'iceberg. «Pour chaque espèce qu'on connaît aujourd'hui, on estime qu'il y en a quatre dont on ignore encore l'existence. Il existerait donc plus d'un million d'espèces, 10 millions selon l'estimation la plus élevée», explique le biologiste Ronald O'Dor, de l'Université Dalhousie, un des deux scientifiques en chef de cette vaste enquête mondiale.

Notre ignorance des espèces marines contraste avec notre connaissance des espèces terrestres, observe Philippe Archambault, professeur d'écologie benthique à l'UQAR. «À titre comparatif, on n'a découvert qu'un seul nouveau type d'oiseau dans les 40 dernières années», explique celui qui collaborait aussi au CML.

Si on en connaît si peu, c'est évidemment parce que les océans sont plus difficiles d'accès, ajoute-t-il. «Pensez-y: on a envoyé plus d'hommes sur la Lune que dans la fosse océanique la plus profonde, la fosse des Mariannes, qui se trouve à 11 km sous la surface. Seulement trois personnes s'y sont rendues.»

Les chercheurs du CML ont fouillé plusieurs régions inhospitalières, des abysses de l'Antarctique jusqu'aux zones hydrothermales à 200°C de la faille océanique près de Victoria. Ils devaient parfois utiliser des sous-marins téléguidés. «À ce jour, le projet Census a coûté 650 millions de dollars», dit M. O'Dor.

La recherche se poursuit. M. Archambault repart dans quelques jours pour l'Arctique. «Un avion me mènera dans une île de l'Arctique. Je prendrai ensuite un hélicoptère pour atterrir sur le navire Amundsen, d'où je plongerai mon filet dans la mer de Beaufort. En le remontant, je devrais ressortir une espèce jusque-là inconnue.»

Ce travail ne bénéficie pas seulement à la recherche fondamentale. Il débouche aussi sur des applications pratiques pour la pharmaceutique, l'agroalimentaire et plusieurs autres domaines, avance M. Archambault. «Par exemple, le dentifrice est composé d'une variété d'algues. On vient aussi de trouver un type de ver dont le sang serait complètement compatible avec le sang humain.»

À cela s'ajoute l'importance de mieux connaître la biodiversité. «C'était la motivation première du projet, raconte M. O'Dor. On a une Convention de la diversité biologique, mais on ignore exactement l'étendue de cette diversité à protéger. C'est problématique.»

Son confrère Philippe Archambault compare l'écosystème à un avion. «On connaît bien les gros morceaux, comme les ailes et le moteur. Mais on en sait peu sur les boulons ou la colle qui permettent à tout cela de tenir ensemble. Dans les océans, on avait déjà identifié les gros morceaux, comme les requins. On en est maintenant à découvrir les boulons, comme le phytoplancton. Ce qui inquiète, c'est qu'ils disparaissent rapidement. Pour chaque boulon découvert, on réalise qu'il y en a un nombre supérieur qui est disparu. On se demande maintenant s'il y en a assez pour tenir l'avion. Et cet avion-là, c'est le nôtre.»

Source: Census of Marine Life www.coml.org

 

LE PLUS D'ESPÈCES

Australie 32889

Japon 32777

Chine 22364

Méditerranée 16848

Golfe du Mexique 15374

 

LE MOINS D'ESPÈCES

Plateau de Patagonie 3776

Est du Canada 3160

Arctique canadien 3038

Afrique du Sud (Atl. Ouest) 2743

Ouest du Canada 2636

 

Les chercheurs qui ont pris part à l'étude espéraient pouvoir approfondir les connaissances humaines sur les différentes formes de vie marine en réunissant les résultats de recherches locales.

Le Census of Marine Life a compilé une liste d'espèces dans 25 régions-types de la planète, de l'Antarctique à l'Arctique, en passant par des régions tempérées ou tropicales.

Selon M. Snelgrove, il ne s'agit pas là d'une simple liste, mais aussi d'une étude des interactions qui existent entre ces espèces.

Philippe Archambault, un biologiste à l'emploi de l'Université du Québec à Rimouski qui apporte un contenu canadien à l'étude, croit que le climat du pays et sa taille compliquent les efforts de recherches.

Selon M. Archambault, les chercheurs ont une bonne idée de ce qui se passe en été, au Canada, mais ce n'est pas nécessairement le cas en hiver.

En proportion de leur territoire maritime, la Corée du Sud, la Chine et l'Afrique du Sud sont les pays qui accueillent le plus d'espèces marines. Même les régions les moins diversifiées sur le plan marin comme la mer Baltique ou le nord-est des États-Unis comptent environ 4000 espèces connues.

Photo: AFP

Une étoile de mer photographiée à 1265 mètres de profondeur.