La Cour internationale de justice (CIJ) n'a pas ordonné mardi le démantèlement réclamé par l'Argentine d'une usine de pâte à papier située en Uruguay, le long du fleuve frontalier Uruguay, même si elle a indiqué que l'Uruguay avait failli à son obligation d'informer l'Argentine.

«La Cour estime qu'ordonner le démantèlement de l'usine Orion (Botnia) ne saurait constituer une forme de réparation appropriée», a-t-elle indiqué dans son arrêt rendu mardi à La Haye.

La CIJ a cependant considéré que «l'Uruguay n'a pas respecté ses obligations procédurales d'informer la Caru» (Commission administrative du fleuve Uruguay), l'instance bilatérale de régulation du fleuve, selon le vice-président de la CIJ Peter Tomka.

L'Uruguay «a failli à ses obligations» imposées par un traité bilatéral signé en 1975 en ayant délivré les permis de construction de deux usines et d'un terminal portuaire «sans avoir préalablement informé la Caru», a ajouté Peter Tomka.

Montevideo avait autorisé la construction de deux usines mais seule l'usine Botnia, qui représente un investissement d'un milliard de dollars (740 millions d'euros), a été construite à ce jour près de Fray Bentos (ouest de l'Uruguay).

L'Argentine, qui réclamait le démantèlement de l'usine en service depuis novembre 2007, avait affirmé lors des audiences du 14 septembre au 2 octobre 2009 que l'usine causait des dommages environnementaux «irréversibles».

Mais la CIJ n'a pas conclu que l'Uruguay avait manqué à ses obligations de protéger l'environnement.

«Les éléments de preuve versés au dossier ne permettent pas d'établir de manière concluante que l'Uruguay n'a pas agi avec la diligence requise ou que les rejets d'effluents de l'usine Orion (Botnia) ont eu des effets délétères ou ont porté atteinte aux ressources biologiques, à la qualité des eaux ou à l'équilibre écologique du fleuve», a indiqué la CIJ.

La cour, qui a considéré que «le comportement illicite de l'Uruguay» constituait «une mesure de satifaction pour l'Argentine», n'a pas non plus ordonné le versement d'une indemnisation à l'Argentine.

«Nous sommes satisfaits», a déclaré aux journalistes la représentante du ministère argentin des Affaires étrangères Susana Ruiz Cerutti, ajoutant que l'Argentine et l'Uruguay devaient maintenant dialoguer pour trouver une issue au conflit.

La délégation de l'Uruguay n'a pas souhaité réagir à l'arrêt rendu.

L'Argentine avait déposé le 4 mai 2006 une plainte contre Montevideo devant la CIJ, principal organe judiciaire des Nations unies.

Des écolos en colère

À Arroyo Verde (nord-est) plus de 2 000 écologistes ont laissé éclater leur colère et se sont déclarés prêts à poursuivre leur combat.

«La Cour dit que l'usine est illégale, mais nous condamne dans le même temps à vivre avec elle !» s'est exclamé Victor Ribossin, 51 ans, avocat, l'un des activistes qui bloquent depuis 2006 ce pont entre l'Argentine et l'Uruguay par où des milliers de personnes passaient chaque année. «C'est inouï!».

Plus loin, le constat est le même. «La Haye avait une occasion historique de montrer qu'elle pouvait défendre les droits des gens contre les intérêts des grands groupes. Elle l'a laissé passer», disait Jorge Campana, 56 ans, fonctionnaire devenu militant. Sur son T-shirt noir, on peut lire, de face : «J'ai dit», puis sur le dos : «NON aux usines de pâte à papier !».

«C'est mauvais !», a résumé une étudiante dépitée, Yamila Piccini, 17 ans. «Nous attendions bien davantage».

Certains d'entre eux ont passé la nuit à la belle étoile autour d'un grand feu pour attendre le verdict de la CIJ. Ils avaient placé leurs transats en rangées devant un grand écran en pleine route, à quelques mètres de la barrière qui empêche l'accès au pont. Cela ressemblait à un joyeux cinéma en plein air.

Le film avait plutôt bien commencé. À 9H50 ils ont entonné en choeur l'hymne national : «Écoutez mortels, le cri sacré... Liberté, liberté, liberté». Des jeunes ont suivi la transmission depuis le toit d'un bus aux pneus crevés, couvert de fresques colorées et de slogans.

Quelques minutes plus tard, la foule s'est écartée pour laisser passer la camionnette de la mairie qui revient du fleuve avec des échantillons pour analyser les niveaux de pollution. Puis c'est le début de la transmission en direct depuis La Haye.

Le jargon de la Cour est fastidieux. Ils s'arment de patience. Mais bientôt les mots semblent de plus en plus favorables. Les visages s'éclairent.

«L'Uruguay n'a pas informé comme il aurait dû...», «n'a pas respecté l'obligation qui était la sienne...», «L'Uruguay n'avait pas le droit d'autoriser la construction...» : la foule explose, se félicite, applaudit à tout rompre, incrédule.

Après 11h00, comme un mauvais signe, la transmission est coupée. Le vent change, les mots de la Cour sont de plus durs. «L'Argentine n'a pas présenté des preuves convaincantes sur une détérioration de la qualité des eaux...» On entend : «Ouhhhhhhhhhh». L'Uruguay, en revanche, «a pris des mesures...». Certains n'en peuvent plus : «C'est ça, et l'eau est excellente !».

À 12H00 la Cour estime que «l'usine a respecté jusqu'à maintenant toutes les normes...» Quelqu'un lâche : «Incroyable !».

«C'est comme au truco !», lance une fille en référence à un jeu de cartes argentin basé sur la duperie. Les sifflements se font de plus en plus pressants.

La Cour donne raison à l'Argentine sur la forme (l'Uruguay n'a pas respecté la procédure d'information et de consultation prévue par le traité sur le fleuve Uruguay), mais déboute le même pays sur le fond (il n'y a pas de preuve de pollution et la cour ne peut décider le démantèlement de l'usine).

Les activistes décideront bientôt en assemblée de leur stratégie. En attendant, Gilda de Beronnessi, 62 ans, fait contre mauvaise fortune bon coeur. «Le blocage ne sera pas levé, dit-elle. La lutte, en fait, commence aujourd'hui.