Ottawa renouvellera son soutien à l'industrie de l'hydrogène, ce matin, à Vancouver. Mais cette coûteuse aventure, qui a coûté plus de 400 millions de dollars à ce jour, est décriée par nombre d'experts des transports, qui exigent la fin immédiate des subventions à une filière énergétique qui n'a selon eux aucun avenir.

C'est un sujet bonbon pour les médias étrangers, pâmés devant ces 20 autobus à l'hydrogène qui assurent la liaison entre Whistler et Vancouver. Non seulement ils constituent le parc le plus important du genre au monde, mais ils sont «garantis sans émissions de gaz à effet de serre», note l'AFP. 

Ce qui est vrai, bien sûr, si on exclut le transport de l'hydrogène par camions à partir de Trois-Rivières.

En effet, les stations-services promises par le passé n'ayant pas encore levé de terre, la Colombie-Britannique a dû signer un contrat avec Air liquide, dont l'usine est à Bécancour, pour alimenter ces autobus censés n'émettre que de la vapeur d'eau.

Mais cela n'entame en rien l'enthousiasme des gouvernements provincial et fédéral, qui auront investi dans l'affaire près de 100 millions de dollars: 89 millions pour 20 bus et 9 millions pour 5 autos. Cela s'ajoute aux quelque 400 millions investis depuis 25 ans par le fédéral, selon les calculs de La Presse.

Aux côtés du grand patron de General Motors du Canada, Arturo S. Elias, le ministre fédéral du Commerce international, Peter Van Loan, félicitera d'ailleurs ce matin à Vancouver l'industrie canadienne des piles à combustible et de l'hydrogène pour son travail en général et pour ce projet-pilote en particulier.

«Il s'agit d'une technologie à la fine pointe, verte et propre qui vaut la peine qu'on l'explore, indique Joanna Morton, de BC Transit. Ces autobus équipés de piles à combustible nous permettront de réduire de 100% les émissions du pot d'échappement.»

Et si on inclut les gaz à effet de serre provenant du transport de l'hydrogène? «On constate ainsi une réduction des émissions de 62%, ce qui est déjà très bien», précise Dave Criebo, du ministère provincial des Transports.

Pourtant, malgré ces vertes vertus, les experts consultés n'y croient pas. Ils sont même furieux de voir les autorités investir autant d'argent dans une aventure qui, selon eux, est vouée à l'échec. «C'est de la folie furieuse!» s'exclame le physicien Pierre Langlois, auteur de Rouler sans pétrole.

«C'est une hérésie! renchérit Sylvain Castonguay, du Centre national du transport avancé (CNTA). Le fédéral a voulu bien paraître et cela lui a coûté près de 100 millions de dollars!»

Carburant propre

Pour comprendre cette réaction, il faut remonter à 1983, au moment où Ressources naturelles Canada lance un vaste programme de recherche sur l'hydrogène, dans l'Ouest. Cette énergie propre, affirme-t-on à l'époque, est LE carburant de demain.

Le Canada vise alors le peloton de tête des pays producteurs. Il ouvre ses coffres et investit, en une vingtaine d'années, pas moins de 400 millions dans le la mise au point des technologies de l'hydrogène et des piles à combustible.

Au Québec, on est aussi enthousiaste: «L'hydrogène est en voie de devenir une source d'énergie très utilisée dans le secteur du transport, écrit le ministère des Ressources naturelles, en 2000. Les piles à combustible et l'utilisation de l'hydrogène comme substitut au pétrole sont susceptibles de connaître un essor important au cours de la prochaine décennie.»

Mais une décennie plus tard, justement, force est de constater que ces promesses n'ont pas été tenues, se désole Anthony Perl, directeur du programme d'études urbaines de l'Université Simon Fraser. Pas plus les 83 000 véhicules que prédisait PricewaterhouseCoopers en 2007 que l'autoroute de l'hydrogène reliant Vancouver à San Diego, promise pour les Jeux olympiques, ne se sont matérialisés.

«La stratégie de l'industrie a été complètement discréditée, explique M. Perl en entrevue. L'hydrogène n'a aucun avenir en tant que carburant de substitution. Il est temps de mettre fin aux subventions gouvernementales à cette industrie.»

Carburant sale

De multiples problèmes empêchent actuellement l'industrie d'avancer, à commencer par la production même de l'hydrogène, qui se fait aujourd'hui à 96% à partir de combustibles fossiles.

Au Canada, c'est surtout en faisant réagir la vapeur d'eau et le gaz naturel à température et à pression élevées que l'on obtient de l'hydrogène moléculaire. Celui-ci est ensuite transformé en électricité par une pile à combustible.

«Cela pose problème parce que les réserves de gaz naturel ne seront pas éternelles, mais aussi parce que ce type de production émet du dioxyde de carbone (CO2)», explique Jacques Goyette, de l'Institut de recherche sur l'hydrogène de l'UQTR.

Certes, les véhicules ne sont pas polluants, mais la production, elle, l'est fortement. Suffisamment, en fait, pour annuler les bienfaits de l'auto équipée de piles à combustible, révèle une étude du Massachusetts Institute of Technology.

«Les chercheurs du MIT ont révélé qu'un parc d'autos hybrides comme la Prius n'émet pas plus de gaz à effet de serre qu'un parc de véhicules à l'hydrogène, précise le physicien Pierre Langlois. On ne règle donc absolument rien!»

Hormis le problème de la production, d'autres écueils ralentissent l'exploitation de cette filière, ajoute-t-il. On pense au stockage de l'hydrogène, à la sécurité liée à son utilisation, à sa distribution, mais surtout au coût de la technologie, tant pour les consommateurs que pour les entreprises (un réseau mondial d'approvisionnement coûterait au bas mot 2000 milliards de dollars, selon l'Agence internationale de l'énergie).

Pourquoi les gouvernements continuent-ils donc à miser financièrement sur cette technologie? «Parce que le lobby de l'hydrogène, qui est en fait celui du pétrole et du gaz, est très fort, répond Sylvain Castonguay, du CNTA. L'hydrogène lui a rendu un fier service jusqu'ici en lui permettant de gagner beaucoup de temps.»

Même son de cloche à HEC Montréal. «Tout ça tient davantage du marketing que d'une politique énergétique et environnementale», selon Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal.

Tout comme M. Perl, MM. Langlois, Castonguay et Pineau sont favorables à la recherche fondamentale ainsi qu'à l'exploitation de cette filière pour les ordinateurs portables et la cogénération résidentielle, par exemple, mais ils s'opposent à la recherche sur l'hydrogène comme carburant de substitution.

Aux États-Unis justement, l'administration Obama a annoncé la fin de ce type d'investissements l'été dernier, mais le Congrès a annulé cette décision quelques mois plus tard.

À Ottawa, on ne voit pas la chose de la même manière, estimant plutôt que cette filière prendra assurément son envol «après 2020». «L'hydrogène et les piles à combustible contribueront un jour à résoudre les défis énergétiques et environnementaux du Canada, estime Ressources naturelles Canada. Ils doivent cependant être pris en considération dans le contexte d'autres nouvelles options, comme les véhicules électriques, hybrides et rechargeables.»

Il a été impossible de parler aux élus ou aux fonctionnaires, car Ottawa s'est contenté de répondre par courriel, comme à son habitude.

 

EN CHIFFRES

L'industrie canadienne de l'hydrogène...

... compte 80 entreprises du savoir (2006)

... a investi en R&D 200 M$/an, en moyenne

... a vu ses recettes passer de 97 M$ à 133 M$, de 2001 à 2006;a connu une hausse des emplois, de 1772 à 2043, de 2001 en 2006.

 

Financement gouvernemental de l'hydrogène (2006)

États-Unis 512 M$/an

Japon 310 M$/an

Commission européenne 236 M$/an

Corée 98 M$/an

Chine 60 M$/an

Canada 30 M$/an

 

L'aide fédérale canadienne en chiffres

183 M$ de 1983 à 2003 sept projets de recherche sur l'hydrogène

215 M$ de 2003 à 2008 programme d'économie basé sur l'utilisation de l'hydrogène

9,5 M$ de 2009 à 2011 10 projets de démonstration

2,4 M$/an programme de recherche et de développement énergétiques