Des ouvriers usés qui aspirent bruyamment dans leur inhalateur pour prendre un médicament. D'autres qui alignent avec ostentation les pilules qu'ils doivent prendre désormais... L'Inde est malade, et le Québec a bonne conscience. Car cette fois, ce ne sont pas les Américains ou les Russes qui sont dans le box des accusés.

Le plaidoyer douloureux des syndicats qui représentent des millions de travailleurs de la construction atteints d'amiantose a mis en relief bien des contradictions la semaine dernière.

 

Jean Charest, l'apôtre des batailles environnementales, a maintenu la ligne dure sur cette question qui met en jeu des centaines d'emplois au Québec: pas question de cesser l'exportation d'un produit qui n'est pas formellement interdite par l'Organisation mondiale de la santé. Les études s'accumulent pour démontrer la toxicité de la fibre chrysotile. Mais, rétorque Jean Charest, le mercure et le chlore sont aussi dangereux, et leur exportation n'est pas pour autant proscrite.

On est habitué aux bataillons de travailleurs humanitaires québécois qui débarquent dans les points chauds pour venir en aide aux populations en difficulté. Aussi, le regard de ces ouvriers indiens est-il bien dérangeant, surtout quand ils accusent «d'hypocrisie» un Québec qui, tout en vendant de l'amiante aux pays pauvres, se garde bien d'en utiliser chez lui, très conscient du danger. Le cinquième de l'amiante utilisé en Inde vient du Québec. Comme dans beaucoup de pays en développement, on se sert de ce produit peu coûteux pour renforcer le ciment, fabriquer des tuiles ignifuges et des plaquettes de frein plus durables. Le produit arrive par ballots. Quand on les ouvre, les volutes de poussière s'envolent dans l'atmosphère.

Les ouvriers les plus prudents se mettent un mouchoir sur la bouche. Les autres se contentent de fermer les yeux.

Comme nous.

Pour Jean Charest il appartient au gouvernement indien d'adopter et d'appliquer des normes sécuritaires pour l'utilisation de ce produit, banni dans tous les pays développés. Mais en Inde, à voir les conditions de travail des ouvriers dans les chantiers, on comprend vite qu'on est à des années-lumière d'un encadrement de la santé et de la sécurité du travail.

«C'est un débat qu'on a fait il y a longtemps chez nous», répétait encore Jean Charest samedi, juste avant de boucler ses bagages pour le retour. Les rapports scientifiques les plus récents ne changent rien à l'affaire: on ne remettra pas en question l'exportation de l'amiante.

Cette affaire a clairement embarrassé Jean Charest la semaine dernière. Inattendu, l'appel au secours des ouvriers indien a résonné très fort au Québec, à tel point qu'il aura probablement occulté toutes les autres réalisations de cette mission Québec-Inde 2010. Ici, on ne parle guère de la décision de Québec d'accorder des certificats de sélection aux étudiants étrangers qui obtiennent un diplôme au Québec. En Inde, c'est le seul moment où la tournée de M. Charest a soulevé l'intérêt des médias indiens.

À l'heure de la mondialisation des marchés, ces missions commerciales mettent en relief bien des contradictions. Selon Jean Charest, le Québec, pour prospérer et exporter davantage, doit inexorablement ouvrir ses portes à l'investissement étranger. Samedi, juste avant le retour, Jean Charest martelait encore: le Québec se doit d'être en Inde, un pays de 1,1 milliard d'habitants dont le taux de croissance frise les 10%.

Derrière les belles annonces, la réalité est souvent moins attirante. M. Charest a maintes fois évoqué l'achat de Téléglobe par la multinationale Tata, preuve de la confiance des étrangers envers le dynamisme de l'économie québécoise, selon lui. La réalité est moins rose: une fois achetés par les Indiens, les employés de Téléglobe, naguère un fleuron du Québec inc., ont vu débarquer les nouveaux maîtres. Les employés indiens sont venus chercher l'expertise et sont repartis chez eux. Résultat net: des 600 employés que comptait Téléglobe à Montréal, il n'en reste plus que 250.

La semaine dernière, au coeur de Bangalore, ville champignon et délabrée, les installations d'Infosys avaient l'air d'une oasis, un petit Microsoft où 22 000 jeunes informaticiens gagnent 8000$ par année. Le patron d'Infosys dit vouloir investir au Québec. L'entreprise de 100 000 employés a déjà des bureaux à Toronto, d'où elle envoie vers l'Inde la conception d'applications qui, normalement, seraient préparées par des informaticiens au Canada. La firme québécoise CGI fait des affaires d'or en sabrant ses coûts de la même manière.

L'ouverture des marchés coûtera nécessairement des emplois, admet Jean Charest. Le but, c'est que, une fois les comptes faits, l'économie québécoise en sorte gagnante. Tout n'est pas noir ou blanc. Un entrepreneur québécois spécialiste des équipements en plastique destinés à l'industrie chimique explique: une mission identique en Chine lui a permis de trouver un partenaire chinois et de réduire considérablement ses coûts. Une partie du travail et des emplois québécois se sont retrouvés en Chine. Cependant, sans ce sacrifice, l'entreprise n'aurait pu faire face à la concurrence et aurait été forcée de fermer totalement ses installations dans l'ouest de Montréal.