Son entourage n'en a jamais fait un mystère. Jean Charest n'est jamais si heureux que sur la scène internationale. Ce penchant n'est pas nouveau. Dès la jeune trentaine, alors ministre de l'Environnement, Jean Charest représentait déjà le Canada au Sommet de la Terre, à Rio.

Presque 20 ans plus tard, il en parle encore, à peu près tous les jours. C'est d'ailleurs à Rio qu'il avait rencontré un autre jeune politicien indien, Kamal Nath. Ils sont toujours restés en contact. Nath est désormais ministre des Transports dans son pays.

On ne peut imaginer pays plus dépaysant que l'Inde, mais Jean Charest est resté en pays de connaissance au Sommet sur le développement durable de Delhi, des enjeux planétaires sur une scène bien loin des tracas intérieurs.

Bien sûr, dans les médias du Québec, les controverses québécoises ont souvent fait perdre le fil de la mission économique d'une semaine que M. Charest a pilotée avec 130 gens d'affaires et représentants d'institutions d'enseignement, à Bombay, à Bangalore et à Delhi.

Les déboires du député-lobbyiste Jean D'Amour, qu'on a absous rapidement, les demandes salariales des médecins spécialistes qu'il convient de ramener à la raison, les déclarations ironiques de Pauline Marois qui estime que Jean Charest devrait venir faire son boulot au Québec... Des rappels bien dérangeants pour quelqu'un qui n'aime pas la routine des controverses et préfère parler d'enjeux aussi généraux que planétaires.

Même sur place, la réalité rattrape toujours: pour rentrer à l'hôtel, il faut traverser des dispositifs de sécurité comme à l'aéroport. Les policiers sont munis de miroirs sur de longs manches afin de vérifier si une bombe n'est pas cachée sous les autos. L'Inde est encore sous le choc des attentats d'il y a un peu plus d'un an; les Indiens parlent du 26 novembre 2008 comme les Américains évoquent leur 11 septembre.

Pendant ce temps, à la maison

Ces nouvelles qui arrivent de la maison sont parfois des occasions. Les attaques du ministre fédéral de l'Environnement, Jim Prentice, à l'endroit du plan québécois de réduction des émissions polluantes sont tombées à point nommé.

Jean Charest s'est fait applaudir par les congressistes du Delhi Sustainable Development Summit quand il a rappelé que le Québec visait à réduire de 20% ses émissions d'ici 2020, en gardant 1990 comme année de référence, un objectif bien plus contraignant que celui de la plupart des autres pays.

À première vue, ce sommet avait des allures d'auberge espagnole, sans Espagnols. Mais les Slovènes, les Norvégiens, les Finlandais y ont côtoyé les délégués du Bhoutan et du Kiribati, un archipel du Pacifique qui se retrouvera vite sous la mer si les glaciers continuent de fondre. Aucun pays du G8 n'était présent. Le Québec était le seul «gouvernement régional» à la table. Il fallait que Jean Charest tienne mordicus à se rendre en Inde pour justifier le détour par un tel rassemblement, même s'il est organisé par R.K. Pachauri, Prix Nobel de la paix 2007 (avec l'ex-vice-président Al Gore).

À y regarder de plus près, l'importance des invités surprend. Parmi les congressistes figurait Gro Harlem Brundtland, mère du développement durable depuis son rapport de la commission de l'ONU en 1987. Bill Clinton n'est intervenu que par vidéoconférence, mais Arnold Schwarzenegger, gouverneur de Californie, y était, tout comme Jeffrey Sachs, gourou des environnementalistes américains, qui a loué le dynamisme du Québec sur les questions environnementales, et pilonné Ottawa pour son manque de leadership.

Plus jeune professeur d'économie de l'histoire à Harvard - il a été embauché à 29 ans -, le responsable de l'Earth Institute de Columbia multiplie les missions pour l'ONU en matière d'environnement. Appui inespéré pour Jean Charest: les deux ont mis l'accent sur le rôle des gouvernements régionaux, États ou provinces, dans la lutte contre les gaz à effet de serre. Heureusement pour lui, Jim Prentice était bien loin de Delhi.

Le voyage indien de Jean Charest a toutefois été l'occasion d'un bien triste ballet diplomatique. Toujours avide de reconnaissance, le Québec s'était emballé à l'idée de prendre le thé avec le premier ministre Singh en compagnie de quatre autres chefs de gouvernement, dont ceux de la Grèce et de la Norvège. Le thé a été annulé, mais les autres premiers ministres ont eu droit, eux, à des rencontres bilatérales. Et Jean Charest ne pouvait pas blâmer Ottawa, qui avait pesé lourd en faveur d'un entretien, si court soit-il. L'Inde est aussi une fédération ultra-centralisée, qui fait la distinction entre un pays et une province. M. Charest aura finalement eu son thé avec Singh, entre deux sessions du Sommet.