«Copenhague a été perçu comme un échec (...) Pour moi, c'est un succès» : près d'un mois après le rendez-vous climat de la capitale danoise, Amartya Sen, prix Nobel d'économie, fait entendre une petite musique dissonante, au milieu d'un concert de lamentations.

Pour cet économiste et philosophe indien de renom, qui enseigne à l'Université de Harvard, aux États-Unis, l'analyse négative du rendez-vous climat est d'abord liée aux attentes démesurées qu'il a suscitées, particulièrement en Europe. Si le sommet n'avait pas fait l'objet «d'un battage aussi énorme et exagéré, je pense que cela ressemblerait beaucoup moins à un échec», explique-t-il, dans un entretien à l'AFP à l'occasion d'un passage à Paris.

«D'ailleurs, en Amérique et en Asie, cela n'a pas été perçu comme un échec. Les Européens avaient des attentes qui n'étaient pas réalistes», juge l'économiste, âgé de 76 ans.

Soulignant les extraordinaires «complexités» d'une telle négociation, liées en premier lieu à la redoutable quête d'un équilibre entre réduction drastique des émissions globales de gaz à effet de serre et impératif de développement pour des dizaines de pays, il estime que le débat a progressé.

«Les gens ont accepté l'idée que tout le monde devait jouer un rôle dans la lutte contre le réchauffement», explique-t-il, mettant également en avant les avancées sur l'aide financière du Nord au Sud.

L'accord de Copenhague, qui ne fixe aucun engagement chiffré de réduction des émissions mondiales, prévoit une aide pour les plus vulnérables de 30 milliards de dollars sur les trois prochaines années, puis une montée en puissance pour arriver à 100 milliards de dollars d'ici à 2020.

Pour Sen, l'Union européenne, en voulant aller trop vite vers un accord et en sous-estimant le décalage entre sa politique climatique - en pointe - et celles des autres régions du monde, a fait fausse route.

Ce que l'Europe a engagé sur l'environnement et le climat est «admirable», souligne-t-il. «Mais la réelle difficulté, quand vous avez ce genre de réussite, c'est que vous avez tendance à penser que les mêmes résultats sont déjà atteints - ou peuvent être facilement atteints - ailleurs».

Sa principale déception: «Il n'y a pas eu de reconnaissance adéquate du problème spécifique de l'Afrique», juge-t-il, regrettant que l'attention se soit portée essentiellement sur les «vieux pollueurs» (pays industrialisés) et «les nouveaux pollueurs» (grands pays émergents), et, très peu, sur «les non-pollueurs».

«S'il y a des obligations vis-à-vis des générations futures, il y a aussi des obligations vis-à-vis des générations actuelles», rappelle l'économiste, dont le dernier livre, «L'idée de justice», vient de sortir en France (Flammarion).

Prix Nobel d'économie en 1998, Amartya Sen a été l'origine de l'indice de développement humain (IDH), reconnu par l'ONU. En 2009, il a participé, aux côtés d'un autre prix Nobel d'économie, l'Américain Joseph Stiglitz, à la commission mise en place par Nicolas Sarkozy sur les nouveaux instruments de mesure de la croissance.

Sur la question climatique et, au-delà, la quête d'une forme de justice à l'échelle de la planète, «on me demande parfois: existe-t-il, dans le monde, quelqu'un qu'il faut écouter en particulier ?».

«Pour moi, c'est Desmond Tutu (ancien archevêque anglican du Cap et prix Nobel de la Paix)», répond-il. «Il a tellement de sagesse à offrir.»