Pour les scientifiques canadiens, l'incapacité d'Ottawa de garantir la survie de l'unique fondation canadienne de recherche sur le climat équivaut à sa fermeture. Cela incite les chercheurs à quérir en grand nombre un emploi à l'étranger, mais pousse aussi les universités étrangères, résolues à profiter de cet exode des cerveaux, à faire des offres alléchantes aux professeurs canadiens.

Certains scientifiques, comme Katrin Juliane Meissner, ont même déjà quitté le pays, faute d'un financement de leurs travaux à moyen terme. Cette chercheuse reconnue dans le domaine climatique vient en effet de plier bagage pour l'Australie, avec sa famille.

 

Quittant l'Allemagne pour le Canada en l'an 2000, attirée précisément par les promesses de la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l'atmosphère (FCSCA), Mme Meissner s'est résignée ces derniers mois à quitter l'Université de Victoria pour celle de South-Wales.

«La fermeture possible de la Fondation est certainement l'une des raisons qui m'ont incitée à déménager en Australie, a-t-elle expliqué par courriel. L'idéologie irresponsable et à courte vue du gouvernement conservateur a aussi pesé dans la balance.»

Plusieurs autres chercheurs ont quitté le pays, principalement pour les États-Unis et l'Australie, mais ceux qu'a joints La Presse ont refusé de s'exprimer publiquement, de crainte que cela leur nuise. En revanche, leurs professeurs n'ont pas hésité à dresser une liste de chercheurs en quête d'emplois, ici ou ailleurs. Près de 20 personnes ont ainsi été nommées.

«Ma fonction n'est pas remise en question comme telle, mais celle de mes chercheurs l'est certainement», se désole Ronald Stewart, directeur du département Environnement et géographie à l'Université du Manitoba.

Il se désole ainsi qu'au cours des derniers mois, par exemple, un de ses étudiants rattachés à l'Université McGill soit parti aux États-Unis pour cette raison et qu'un autre envisage de quitter le Manitoba pour en faire autant.

Même son de cloche dans la province voisine, où John Pomeroy, directeur de la chaire de recherche sur les ressources en eau et les changements climatiques de l'Université de Saskatchewan, constate aussi qu'une fuite des cerveaux est en cours.

«Tout cela est désastreux pour le pays, dit-il. J'ai dirigé deux réseaux de recherche qui ont formé plusieurs douzaines d'étudiants, autant de personnes qui devront maintenant se trouver un emploi ailleurs, probablement à l'étranger.»

Le problème souligné par les huit universitaires canadiens consultés, c'est que le temps nécessaire pour monter des équipes de recherche est énorme. «L'indécision du gouvernement fédéral est donc déjà un mal en soi», estime Jacques Derome, professeur au département des sciences atmosphériques et océaniques de l'Université McGill.

Professeurs courtisés

Sans surprise, les professeurs et responsables des équipes de recherche sont eux aussi courtisés par des universités étrangères. Le Dr Stewart de l'Université du Manitoba, par exemple, a récemment reçu des offres d'universités américaines et australiennes qui ont vu leur financement augmenter récemment. Même chose pour le directeur de la Fondation, le professeur de l'Université de Western Ontario Gordon McBean.

«Ceci est pour le moins paradoxal, étant donné le programme des Chaires de recherche du Canada qui visait justement à combattre l'exode des cerveaux et le rapatriement de la diaspora scientifique canadienne», note René Laprise, professeur titulaire au département des sciences de la Terre et de l'atmosphère de l'UQAM qui, lui aussi, a déjà perdu des chercheurs (voir autre texte).

Cela dit, pourquoi une telle incertitude quant à l'avenir de la Fondation? En raison de la méfiance du gouvernement conservateur à l'égard du monde scientifique, soutiennent la plupart des chercheurs consultés.

«Les sociétés progressistes partout dans le monde s'appuient sur la science pour prendre des décisions, mais le gouvernement Harper, lui, voit plutôt la science comme un désagrément», lance Andrew Weaver, titulaire de la chaire de recherche du Canada en modélisation et en analyse climatique, rattachée à l'Université de Victoria.

Tout comme plusieurs de ses collègues, il estime que les conservateurs sont obsédés par les «solutions technologiques» comme la séquestration du carbone, par exemple, secteur qui siphonnerait les fonds habituellement alloués à la recherche fondamentale.

«Le gouvernement conservateur ne semble pas apprécier l'importance de ce genre de recherche, n'ayant montré à ce jour aucune volonté de continuer à la financer», renchérit Michael Sigmond, chercheur en physique atmosphérique à l'Université de Toronto.