Les douanes britanniques ont arrêté cette semaine à Londres neuf personnes soupçonnées de tremper dans une vaste escroquerie aux crédits carbone qui porterait sur plusieurs millions de dollars. Outil flambant neuf de la lutte contre le changement climatique, le marché des quotas d'émission de CO2 a logiquement ouvert de nouveaux horizons aux aigrefins.

En quelques années, le dioxyde de carbone (CO2), l'un des principaux gaz à effet de serre (GES), est devenu une précieuse monnaie d'échange, au même titre que l'or ou le pétrole. Un marché représentant plus de 100 milliards de dollars (environ 70 milliards d'euros) s'est développé. Il a explosé depuis que l'Union européenne a fixé des plafonds de pollution aux entreprises et autorisé celles qui ne les atteindraient pas à vendre leurs crédits CO2 à celles qui les dépasseraient. L'équivalent tonne de CO2 s'échange aux environs de 15 dollars (10,50 euros) en moyenne cette année.

La bourse du carbone va connaître des jours encore plus beaux si le Congrès américain adopte le projet de loi climat-énergie du président Barack Obama, qui limite pour la première fois aux États-Unis les émissions de GES et instaure un marché de droits de polluer.

Et les perspectives s'élargissent encore si les 192 pays participant à la conférence des Nations unies pour le climat à Copenhague en décembre parviennent comme prévu à un accord, qui prévoirait notamment des incitations financières à la protection des forêts pour les pays pauvres. De quoi allécher les escrocs.

Le coup de filet de mercredi à Londres et dans ses environs a confirmé les craintes des forces de l'ordre. Sept hommes et deux femmes ont été arrêtés puis relâchés sous caution pour leur implication présumée dans un «carrousel».

Cette technique de fraude au fisc consiste à importer des produits exemptés de TVÀ dans un pays de l'Union européenne pour les revendre dans un autre où ils sont soumis à la TVA, et empocher la taxe au final, au lieu de la reverser à l'État. Il peut s'agir par exemple de téléphones mobiles ou de matériel informatique.

Les suspects interpellés mercredi à l'issue de la perquisition de 27 propriétés auraient ainsi détourné quelque 38 millions de livres (44 millions d'euros). La porte-parole des douanes Sara Gaines a affirmé que c'était la première fois que les autorités démantelaient un carrousel aux crédits carbone.

La France et la Grande-Bretagne exemptent de TVÀ les transactions de crédits carbone, alors qu'aux Pays-Bas c'est l'acheteur qui doit payer la taxe à la valeur ajoutée. Ces trois pays colaboraient depuis juillet pour chercher des preuves de l'existence du «carrousel».

Selon le bureau de Londres du cabinet d'audit KPMG, les soupçons sont nés en mai lorsque que le volume d'échange de crédits carbone a bondi sur la place parisienne de BlueNext, passant de 27,2 millions de tonnes en octobre à 186 millions. La multiplication des acteurs sur le marché des émissions de CO2 rend le contrôle plus difficile, note Andrei Marcu, ancien patron de BlueNext.

Autre source de trafic possible: les crédits carbone liés à la lutte contre la déforestation. La déforestation contribuerait à hauteur d'environ 20% de toutes les émissions de CO2 dans l'atmosphère, selon les scientifiques. En mesurant la quantité de carbone piégé dans les arbres, on peut déterminer une compensation à verser aux propriétaires de la forêt pour leur conduite vertueuse.

Ces bons sont achetés par des passagers d'avion ou des spectateurs de concerts qui veulent compenser leur impact sur le climat, mais des filous commencent à démarcher les propriétaires des forêts, en particulier s'ils sont pauvres et peu informés, pour leur racheter leurs droits d'émissions à des fins de spéculation.

«Il faut arrêter ces cow-boys du carbone», s'alarme Kevin Conrad, représentant de la Papouasie Nouvelle-Guinée dans les négociations sur le climat, inquiet pour les centaines de tribus indigènes qui peuplent les forêts de son pays.

En juillet, le responsable de l'Agence de protection de l'environnement de ce pays d'Océanie, Theo Yasause, a été suspendu. Il est soupçonné d'avoir émis pour 40 tonnes de crédits carbone liés à la prévention de la déforestation... alors que ces crédits n'existent pas encore, faute d'un mécanisme de contrôle de la préservation effective des forêts.