«C'est honteux et un peu dégradant pour une personne valide avec de la terre de se mettre dans la file et quémander de la nourriture pour survivre. Mais je n'ai pas le choix», explique Lucy Gathigia Mahinda, frappée de plein fouet par la sécheresse au Kenya.

Cette cultivatrice de 52 ans, mère de sept enfants, reçoit dans sa cuisine, où les ustensiles soigneusement rangés font figure de décoration. Lucy ne cuisine qu'un seul repas par jour, du «thé fort» et du maïs distribué par le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies. Dans le district de Laïkipia, un des greniers à grains du Kenya, à environ 190 km au nord de Nairobi, les champs de maïs séchés sur pied succèdent aux plaines arides désertées de leur bétail: quatre saisons des pluies ratées ont mis à genoux la population, dépendante pour sa survie de l'aide humanitaire.

Le PAM estime désormais à 3,8 millions le nombre de Kényans nécessitant une aide d'urgence, soit environ 10% de la population du pays. Le gouvernement kényan a de son côté mobilisé l'armée pour acheminer de l'aide tandis que le spectre de la sécheresse de 2000, la pire subie par le pays en 37 ans, refait surface.

«Les communautés sortent de trois sécheresses consécutives et elles n'ont pas encore récupéré (...) Leur capacité de résistance s'est amoindrie. Elles sont vulnérables», explique, pessimiste, Steven Waweru, coordinateur de l'ONG Caritas dans la région.

À l'instar de ses voisins, Lucy cultive essentiellement du maïs: sur ses deux acres, des pieds de maïs faméliques tiennent péniblement debout.

En attendant, la petite saison des pluies en octobre et une possible récolte en janvier 2010, une bonne partie des habitants de ses voisins du village de Nyariginu a momentanément délaissé la houe pour fabriquer et revendre du charbon, ou casser des cailloux dans une carrière proche.

Un travail aussi pénible que mal rémunéré: cinq shillings le jerrican de 20 litres de pierres concassées. Il faut neuf heures de labeur à un «bon» casseur pour pouvoir se payer une kilo de maïs à 45 shillings (0,4 euro).

Le bétail n'est pas épargné: Lucy a perdu ses quatre vaches, son voisin Paul Maina, quatre vaches et huit chèvres. Les éleveurs ont mené leurs bêtes affaiblies et efflanquées sur les contreforts du mont Kenya voisin, soit environ 100000 têtes de bétail sur un total de 200000.

La situation n'y est guère plus reluisante: le bétail y meurt en masse, d'épuisement, de maladies ou de pneumonie, en raison des basses températures la nuit.

Des carcasses d'animaux par dizaines pourrissent au milieu des sapins sous le regard désabusé des éleveurs.

«Le bétail ne s'est pas encore remis de la sécheresse de 2005. Et déjà nous faisons face à une nouvelle. Le cycle des sécheresses devient de plus en plus court: trois, quatre ans au lieu de 10 avant», explique un responsable vétérinaire du district.

Outre l'urgence humanitaire, la sécheresse sème insidieusement les conflits sociaux de demain.

Selon M. Waweru, près de 50% des habitants de Nyariginu ont tout simplement abandonné leurs arpents, un comble au Kenya où la terre occupe une place centrale.

«Je connais des familles qui démolissent leur maison, vendent la tôle ondulée et les poutres et retournent dans les villes voisines pour s'installer dans des bidonvilles. Nous n'avons pas vu cela depuis longtemps», s'alarme-t-il.

«De toute évidence, la criminalité va augmenter dans ces villes. Déjà, la prostitution et le travail des enfants sont en augmentation car les gens cherchent n'importe quoi pour gagner un ou deux shillings».