Quatre heures du matin: le soleil n'est pas encore levé sur le lac Baïkal. Dans le noir, Edouard Danilevski, chef d'une brigade de garde-pêche, embarque avec deux de ses hommes sur un hors-bord d'un autre âge à la recherche des braconniers.

Cette immense étendue d'eau douce sibérienne, recélant 20% des réserves mondiales et classée au patrimoine mondial de l'Unesco, est d'une richesse infinie: ombres, lavarets, chabots ou encore esturgeons y évoluent en quantité. «Les pêcheurs agissent très tôt le matin, lorsqu'il fait encore sombre, pour éviter d'être pris sur le fait», explique Danilevski, un grand gaillard blond d'une quarantaine d'années.

Ce jour-là, les eaux sont calmes. Après avoir manié avec précaution l'embarcation jusqu'à une distance raisonnable de la rive, en s'orientant grâce à une torche électrique, Viktor Babak, le pilote, met les gaz. Pendant plusieurs heures, les trois hommes vont parcourir des dizaines de kilomètres, pour traquer notamment les pêcheurs d'omoul, poisson béni qui fait vivre toute la région et que l'on ne trouve que dans ce lac mystérieux.

Pour l'instant, la pêche en amateur, à l'aide de filets, de cette espèce endémique du lac, de la famille des salmonidés, est interdite, et des quotas sont imposés pour la pêche industrielle. Mais dans une région peu développée comme celle du Baïkal, ce long poisson aux reflets argentés est un moyen de subsistance essentiel, et encore plus depuis que la crise économique a touché de plein fouet la Russie.

Il se vend à tous les coins de rues et nourrit la population riveraine, qui connaît mille et une façons de le cuisiner: fumé, salé, en brochette, en boulette, en papillote ou encore au grill. Sa population est difficile à estimer. «Il y en aurait entre 25 et 30 000 tonnes actuellement», indique Elena Dziouba, chercheur à l'Institut limnologique d'Irkoutsk, tout en précisant que la marge d'erreur est de 30%.

Cinq heures du matin: Viktor repère au loin un point noir et pousse le moteur. Cinq minutes plus tard, les gardes-pêche arraisonnent un jeune pêcheur en train de retirer son filet long de plusieurs centaines de mètres. Il risque une amende allant de 1 000 à 2 000 roubles (35 à 50 dollars) pour l'infraction, à laquelle s'ajoutent 250 roubles par poisson pêché. Une somme considérable dans cette région où le salaire moyen est de 15 000 roubles par mois. Mais par chance, cette fois-ci, un seul spécimen a été pris au piège.

Le jeune homme indique habiter à Baïkalsk, une ville industrielle de la rive sud du lac qui a vu son principal employeur, une usine de cellulose, fermer il y a quelques mois. «J'ai pris un crédit, et la banque fait maintenant pression pour que je la rembourse», raconte-t-il, indiquant par ailleurs avoir une fille de sept ans. «Ce sont des circonstances atténuantes», dit en aparté Danilevski, compatissant. «Si cela peut vous consoler, sachez que bientôt vous aurez le droit d'acheter une licence», répond-il au pêcheur.

Face au drame social provoqué par la fermeture de l'usine, poumon économique de la région, les autorités fédérales et régionales viennent de décider une série de mesures pour soutenir les riverains, dont l'autorisation de la pêche amateur et une nouvelle répartition des quotas. Des mesures qui satisfont le garde-pêche, saluant une meilleure «justice sociale». «L'omoul, c'est notre pain à tous», souligne cet enfant de la région.

Photo AFP

Les temps sont durs à Baïkalsk depuis que son principal employeur a fermé ses portes, il y a quelques mois. Des riverains veulent compenser leurs pertes par la pêche de l'omoul.