La Journée mondiale de l'eau se déroule, aujourd'hui, sur le thème des eaux transfrontalières, un enjeu qui interpelle les Québécois au moment où se dessine un nouveau plan de régulation des eaux du fleuve et des Grands Lacs. La Presse s'est entretenu avec deux experts de la question, Christian Simard et Marc Hudon, tous deux de Nature Québec.

Q: Pourquoi les citoyens devraient-ils se sentir interpellés par la Journée mondiale de l'eau?

R: Marc Hudon: En raison de leur insouciance et de la précarité de la ressource. Cette journée est un moment d'arrêt qui permet de prendre conscience de l'importance de l'eau, du fleuve, des Grands Lacs. Le Saint-Laurent n'est pas qu'un obstacle au retour à la maison, vous savez...

 

R: Christian Simard: Les Québécois gèrent ce qui est, selon plusieurs, le plus grand bassin d'eau douce au monde. Ils ont donc la responsabilité de s'intéresser à l'eau en tant que gestionnaires de ce patrimoine mondial.

Q: Quel est le principal obstacle à une gestion responsable de l'eau?

R: MH: Le mythe de l'abondance. Chaque fois qu'on ouvre le robinet, l'eau coule. On a l'impression qu'il n'en manquera jamais. Or, il faut s'attendre à ce que la répartition de l'eau devienne de plus en plus problématique dans le secteur du fleuve et des Grands Lacs.

Q: Que voulez-vous dire?

R: MH: Les instances politiques auront un jour des choix à faire concernant la répartition de l'eau. Entre le Québec et l'Ontario. Entre le Québec et les États-Unis. Il importe donc de faire nos devoirs tout de suite, de conserver la ressource le plus possible pour ne pas avoir une image de gaspilleurs. Et cela, afin de pouvoir justifier nos besoins en période de crise.

R: CS: Il est clair, dans l'entente sur le fleuve et les Grands Lacs intervenue entre le Québec, l'Ontario et les huit États américains, que chacun devra respecter des objectifs précis de conservation de l'eau. Si on ne les atteint pas, on risque de ne pas avoir voix au chapitre dans l'ensemble de la gestion du bassin.

Q: Tout cela ressemble à un mauvais film hollywoodien... Sommes-nous vraiment rendus là?

R: CS: Il faut se rappeler que Montréal a passé à un cheveu de manquer d'eau lors de certaines périodes de canicule, en 1999 et en 2003 si je ne m'abuse. La prise d'eau n'étant pas assez inondée, il y a eu des vibrations extrêmes, et le tout a presque flanché. On a frôlé la catastrophe.

R: MH: Avec le réchauffement du climat, plusieurs villes commencent déjà à manquer d'eau. On le voit en Ontario, où des villes comme London et Windsor ont eu des pénuries d'eau lors de périodes de canicule.

Q: Que penser de l'implication du fédéral dans le dossier de l'eau?

R: CS: Rappelons-nous que le 22 mars 2007, Journée de l'eau, le gouvernement conservateur a annoncé en grande pompe une stratégie nationale de l'eau... qui n'a jamais vu le jour. Pire encore, depuis l'annonce, le gouvernement a abandonné ses compétences sur les eaux navigables. Il a affaibli le processus d'évaluation environnementale. Il a éliminé le financement de la recherche sur les changements climatiques, ce qui touche directement la gestion de l'eau. Il y a donc contradiction flagrante entre la volonté exprimée et la pratique.

Q: Que devrait faire Ottawa pour renverser la tendance?

R: MH: On a besoin de décisions basées sur la science plutôt que sur l'idéologie. On a besoin d'un plus grand financement, d'un engagement officiel à ne pas exporter d'eau, bref d'une politique nationale de l'eau. Cela aiderait les communautés autochtones, permettrait de moderniser les infrastructures et de réduire les avis d'ébullition de l'eau, qui se comptent par centaines chaque année.

R: CS: Il y a encore 100 communautés autochtones qui n'ont pas accès à de l'eau potable au Canada. C'est le tiers-monde!

Q: Le Québec fait-il preuve de plus d'initiative?

R: MH: Sur le plan des enjeux transfrontaliers de l'eau, le Québec est extrêmement présent et efficace. La population ne s'en rend pas compte, mais moi, je le vois dans les différents comités de travail. Cela dit, il y a des lacunes du côté du soutien aux communautés. Le gouvernement a récemment accordé 15 millions aux organismes de bassin versant, ce qui est un signal absolument positif. Mais il y a encore beaucoup de travail à faire.

R: CS: Il n'y a qu'à considérer la question des redevances, qui traîne depuis 2003, pour s'en convaincre. Nous sommes en 2009 et il n'y a toujours pas l'ombre du bout du nez d'une redevance sur l'eau. C'est majeur. Regardons seulement les embouteilleurs, qui font affaire dans une industrie extrêmement lucrative mais qui ne payent toujours pas l'eau qu'ils pompent.

Q: L'ONU a félicité le Québec pour son approche par bassin versant. C'était mérité?

R: CS: Oui, tout le monde est content de l'approche par bassin versant. Mais il faut passer à une autre étape. Il faut des orientations précises, des objectifs mesurables: dans 10 ans, par exemple, dans tel bassin versant, il devra y avoir moins de phosphore, moins de nitrate; les bandes riveraines devront être mieux protégées, etc. Il ne faut pas qu'on se limite à jaser pour jaser.

Courriel Pour joindre notre journaliste: francois.cardinal@lapresse.ca

 

Christian Simard

Directeur général de Nature Québec. Figure bien connue de la scène environnementale, ancien député bloquiste de Beauport-Limoilou, il a aussi été directeur général de l'Union québécoise pour la conservation de la nature.

Marc Hudon

Directeur du programme Saint-Laurent/Grands Lacs à Nature Québec. Il est aussi président du Comité Zone d'intervention prioritaire Saguenay et du Conseil consultatif régional sur les déversements d'hydrocarbures en milieu marin de la région du Québec.