Naviguer de la Californie jusqu'à Hawaii à bord d'un radeau fait avec 15 000 bouteilles en plastique? C'est le défi qu'a réalisé l'an dernier Marcus Eriksen. Ce scientifique s'apprête aujourd'hui à rouler à vélo de Vancouver jusqu'à Tijuana, au Mexique, pour dénoncer l'utilisation du plastique dans les produits de consommation courante, « la plus grande aberration de notre époque «, dit-il.

Comme bien des gens, Marcus Eriksen est amateur de sushis.

Son appétit pour le poisson cru s'est tempéré, l'été dernier, quand il s'est mis à pêcher au milieu de l'océan Pacifique.

 

Le poisson long de 30cm qu'il a remonté dans son radeau construit avec des bouteilles de plastique avait l'air en santé. C'est avant qu'il ne l'ouvre avec un couteau.

«J'ai compté 17 petits bouts de plastique dans les intestins du poisson, dit M. Eriksen. Certains étaient sans doute là depuis des années. Je n'ai pas été capable de le manger.»

Les petits morceaux de plastique -certains sont gros comme la pointe d'un crayon, d'autres mesurent plusieurs centimètres- sont observables sur des milliers de kilomètres sous la surface de l'océan Pacifique, explique M. Eriksen.

 

Il s'agit du plastique que nous jetons chaque jour sans même y penser. Une vieille brosse à dents. Un emballage de DVD. Le couvercle jetable d'un gobelet de café. Ils arrivent dans l'océan par les cours d'eau et les égouts, et sont mis en pièces par l'érosion et les rayons du soleil.Ces nuées de «confettis de plastique» s'étendent du Japon jusqu'à Hawaii et se déplacent selon un mouvement circulaire. Les scientifiques ont découvert que cette masse est en expansion: elle aurait doublé depuis 10 ans (voir autre texte).

«L'océan est comme une cuvette de toilettes, mais sans chasse d'eau, explique M. Eriksen. L'océan est en train de devenir une soupe de plastique.»

88 jours en radeau

Bâti comme un boxeur, Marcus Eriksen a été sergent dans les marines pendant cinq ans et demi. Il a fait la guerre du golfe Persique, dans les années 90.

Depuis, il a terminé ses études. Il est docteur en enseignement des sciences. Il se consacre à divers projets de recherche et de sensibilisation à l'environnement pour la Fondation de recherche marine Algalita, installée à Long Beach, en Californie.

Révolté par l'inaction des gouvernements et des entreprises au sujet du plastique jetable, M. Eriksen et son collègue Joel Paschal ont décidé l'an dernier de naviguer de Los Angeles jusqu'à Hawaii à bord d'un radeau fait de 15 000 bouteilles vides. Pour la cabine, ils ont utilisé l'habitacle d'un vieil avion Cessna 310. L'embarcation a été baptisée 100% Junk («100% déchets»).

«Nous avons monté le projet en trois mois, dit-il. Nous ne savions pas vraiment dans quoi nous nous embarquions.» Après quelques jours sur l'océan, le duo s'est aperçu que les bouchons des bouteilles se dévissaient sous l'effet des vagues. Leur radeau prenait l'eau.

«Ma fiancée, Anna, est venue nous rejoindre et elle a apporté un baril de colle. Nous avons collé les bouchons un à un, pendant que le radeau était dans l'eau. C'est ce qui a sauvé l'expédition.»

Durant des jours, le radeau a vogué parmi des milliers de bouts de plastique déplacés par le courant sous la surface de l'océan. Une mixture toxique pour les oiseaux et les poissons.

«Les bouts de plastique agissent comme des éponges. Les pesticides, les produits pétrochimiques s'y accrochent. C'est cela que les poissons ingèrent. Nous pensons que ces polluants se retrouvent dans leur organisme. C'est une hypothèse que nous allons vérifier au cours de prochaines recherches.»

La traversée a duré 88 jours, soit près d'un mois de plus que l'horaire prévu par les aventuriers. Durant le voyage, l'équipe a donné des entrevues et tenu un blogue qu'ont visité plus de 250 000 personnes, dont plusieurs enfants des écoles américaines.

Ceux-ci ont suivi le projet avec attention, dit M. Eriksen. «Les enfants comprennent que notre mode de vie est néfaste pour la planète. Nous importons du pétrole pour produire du plastique, une matière pratiquement indestructible que nous jetons après une seule utilisation. C'est complètement aberrant.»

Mettre le plastique au recyclage n'élimine pas le problème. «Certains types de plastique sont difficiles et coûteux à recycler. Bien souvent, le plastique finit dans les dépotoirs ou ailleurs dans l'environnement, où il reste intact durant des centaines d'années.»

Expédition à vélo

En avril, M. Eriksen et sa fiancée, Anna Cummings, entreprendront un voyage à vélo de plus de 3000km, de Vancouver à Tijuana.

Ils apporteront avec eux des échantillons d'eau polluée récoltée durant l'expédition en radeau. Le couple, qui compte se marier en cours de route, veut sensibiliser les élèves et les médias locaux au problème des déchets de plastique.

Le but de leurs actions est de provoquer une prise de conscience qui pourrait se traduire par un changement dans la législation. «Nous devons mettre fin à l'ère du plastique jetable, un point c'est tout», dit M. Eriksen.

Selon lui, les entreprises pourraient être tenues de reprendre les contenants et les emballages qu'elles mettent sur le marché, comme c'est le cas dans certains pays d'Europe. L'utilisation de l'aluminium et du verre est également plus souhaitable, car ces matières sont plus faciles à recycler.

«Un jour, j'ai lu une phrase qui m'est restée en tête: «Il y a des scénarios pires que l'extinction.» Cela signifie que pouvons dégrader notre environnement au point où la vie sera très ardue pour les générations futures. Si nous ne changeons pas les choses, qui le fera?»

Sur le Net: www.junkraft.com

Bérubé, NicolasUne «mer de déchets» au centre du Pacifique

Une nuée de confettis de plastique répandus sur une surface deux fois grande comme le territoire des États-Unis. C'est le phénomène découvert à la fin des années 90 au large d'Hawaii, dans l'océan Pacifique, par l'océanographe américain Charles Moore. Frappé par ce qu'il voyait, le scientifique a décrit la chose comme étant une «vaste étendue de détritus», ou un «vortex de déchets». M. Moore a évalué que le cinquième de ces déchets proviennent des bateaux et des plateformes de forage. Le reste du plastique vient de l'activité humaine terrestre. Selon ses calculs, environ 100 millions de tonnes de plastique circulent dans cette vaste étendue, entre le Japon et Hawaii. Ce fait est mal connu et mal étudié, en raison de la difficulté d'atteindre les régions touchées. «Les déchets de plastique sont situés tout juste sous la surface de l'eau, ils sont impossibles à détecter avec les photos satellites, a écrit M. Moore. La seule façon de constater l'ampleur du désastre est d'observer les déchets à partir d'un bateau.»

Photo fournie par la Fondation Algalita